La transformation néo-libérale de l’Université, par le collectif Abélard

vendredi 12 octobre 2007
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La transformation néo-libérale de l'Université

L'université française est à la veille d'une régression historique, dont les étudiants et les enseignants prennent peu à peu conscience. Celle-ci s'élabore sur la base de trois réformes, soigneusement articulées entre elles, et inspirées par la même idéologie. La réforme dite du LMD (Licence, Master, Doctorat), qui est déjà entrée en application dans certaines universités (Lyon II par exemple) ; la réforme dite de "modernisation des universités" ; et enfin, celle qui vise à transformer le statut des personnels des universités.

L'auto-dérégulation de l'université française
Dans le discours des " modernisateurs ", la réforme du LMD vise d'abord à l'harmonisation européenne des cursus. En créant de nouveaux diplômes à bac + 3 (Licence), bac + 5 (Master) et bac + 8 (Doctorat), il s'agirait de favoriser la circulation des étudiants entre les différents pays européens. La traduction des formations en termes d'ECTS (European Credit Transfer System) irait dans le même sens. L'idée de favoriser la mobilité internationale des étudiants est attractive, mais son application bute sur la question des moyens envisagés, très limités par rapport aux besoins. Or, aller à l'étranger coûte cher et demande une certaine maîtrise des langues étrangères : en réalité, seule une minorité d'étudiants aisés peuvent être concernés en l'absence de financement conséquent.
Derrière cette façade internationaliste rutilante, il apparaît que le passage au LMD est avant tout une réforme qui va dénationaliser les diplômes. En effet, jusqu'à présent le ministère fixait le cadre national de chaque diplôme ce qui, en théorie, permettait d'assurer une certaine égalité entre étudiants, qui bénéficiaient alors d'une formation à peu près comparable quelle que soit l'université fréquentée. Les diplômes étaient donc à "habilitation nationale" et permettaient, par exemple de postuler à tel ou tel niveau de concours de la fonction publique. Or avec le LMD, ce sont chaque université, chaque discipline, qui, hors de tout cadrage national, définiront elles-mêmes le contenu de leur "offre de formation" et se retrouveront en compétition entre elles. L'objectif du ministère est d'aboutir à terme à la création de "pôles d'excellence", susceptibles de rivaliser avec leurs équivalents à l'étranger. Dans ce contexte, la résorption des inégalités dans l'enseignement supérieur devient un concept désuet.
Cette réforme d'inspiration "libérale", étant donné qu'elle diminue le rôle régulateur de l'État, est donc le prélude à la mise en concurrence généralisée des filières, comme des établissements, marquée par une volonté de réduction des coûts. La réforme du LMD remplit cet objectif en limitant l'offre de formation : les plus petites universités et les moins concurrentielles seront de facto transformées en " collèges universitaires " bornés à la Licence, et ne pourront pas toutes proposer un Master, et encore moins un Doctorat. Ceci se répercutera tant sur la qualité de l'enseignement (déconnecté de la recherche), que sur les perspectives académiques des étudiants, d'emblée plus limitées.
Avec le LMD, les universités "libérées" pourront enfin définir leur offre de formation, - cette liberté trouvant vite ses limites dans la faiblesse des moyens disponibles, bien évidemment (très) variables d'une université à l'autre -. Les étudiants ne sont pas en reste, car le ministère encourage aussi fortement la création de " parcours de formation " pluridisciplinaires et individualisés, les étudiants "libres" devant alors construire eux-mêmes leur propre cursus. On retrouve donc, mais au plan de la pédagogie cette fois, l'inspiration individualiste et libérale de la réforme. De nouveau, un tel système favorisera d'abord les étudiants d'origine sociale élevée. L'autonomisation et la mise en concurrence accrues des universités vont amplifier les écarts entre établissements. En raison du désengagement de l'État, les moyens dont disposeront les collèges universitaires (ces universités de "seconde zone") seront à la mesure de leur implication et de leur dépendance envers leur environnement économique et social. La majorité des premiers cycles des universités les moins riches sera réduite à dispenser un service public minimum utilitariste à des étudiants peu sélectionnés.
Enfin, le passage au LMD s'accompagne de très fortes incitations à la " professionnalisation " des universités, toujours à budget constant... Or, d'une part, il n'est pas prouvé que les formations dites professionnelles garantissent mieux l'accès à l'emploi que les formations dites généralistes (les "Grandes écoles", par exemple, dispensent une formation très générale). D'autre part, l'expansion d'une "professionnalisation du pauvre" (sans moyens) à l'université s'accompagne aussi du développement d'une conception purement instrumentale et mercantile de la connaissance ; ainsi les universités sont de plus en plus incitées à développer la recherche appliquée et à court terme. La régionalisation de l'offre de formation influencera également le choix des thèmes de recherche, de manière à mieux répondre aux demandes des acteurs locaux, au détriment de l'autonomie scientifique des universités.

La transformation managériale des universités et la mise au pas des personnels
Les "modernisateurs" veulent transformer l'université en une petite entreprise susceptible de dégager des profits. Les activités commerciales de l'université, déjà bien développées (la formation continue), devraient l'être encore davantage, avec l'apparition de l'activité de "validation des acquis " qui se substituera à la transmission des savoirs, et le renforcement du contrôle par les entreprises et les bureaucraties locales ou nationales.
Pas de petite entreprise sans manager, aussi les différents projets de loi de "modernisation" accroissent-t-ils le pouvoir dévolu aux présidents d'universités, limitant le rôle des divers conseils universitaires à la portion congrue. Cette "présidentialisation" est confortée par le projet de réforme des statuts des personnels, dans le sens d'une contractualisation : le président se transformera en chef du personnel (IATOSS, enseignants-chercheurs), assignant à chacun ses obligations de service au cours de négociations individuelles, dans un contexte de pénurie de postes. Pour les enseignants-chercheurs, une des conséquences majeures de l'application du rapport Belloc sera l'augmentation de la charge d'enseignement au détriment des activités de recherche.
À ces tentatives de prise de contrôle marchand, il faut opposer l'exigence d'une démocratisation réelle de l'Université : l'accès du plus grand nombre aux savoirs qu'elle délivre ; son ouverture sur le monde (mais qui ne soit pas un ajustement purement marchand du fonctionnement pédagogique, scientifique, institutionnel de l'université) ; la réaffirmation de ses missions de recherche et de construction de savoirs universels. En l'occurrence, la construction d'une Université garante de l'autonomie intellectuelle.

Pour en savoir plus...
L'ouvrage du collectif Abélard, Universitas Calamitatum : le livre noir des réformes universitaires, est paru en décembre 2003 aux Éditions du Croquant dans la collection Savoir/Agir de l'Association Raisons d'agir.
Présentation de l'ouvrage


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