L’université n’est pas en crise dans Le Monde

samedi 21 décembre 2013
par  Louis Weber
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Pour en finir avec les idées reçues sur l’université

Le Monde.fr | 20.12.2013 à 17h43 • Mis à jour le 21.12.2013 à 13h33 | Par Nathalie Brafman

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Sorbonne-Nouvelle-Paris-III, l’université française la plus spécialisée en lettres, langues et arts, obtient un taux d’insertion bien supérieur à la moyenne nationale, à 94 %.

L’université n’est pas en crise. Le titre du livre (Editions du Croquant) de Romuald Bodin et Sophie Orange, deux sociologues – respectivement maître de conférence à l’université de Poitiers et de Nantes – sonne comme une provocation. « Ce titre peut surprendre, conviennent les deux auteurs dans l’introduction. Ceux qui sont éloignés des luttes internes au monde de l’enseignement supérieur pourront le trouver paradoxal. Ceux qui sont plus proches des ’’facultés’’ et des ’’écoles’’, y verront sans doute une provocation. »

L’objectif des deux auteurs n’est pas d’occulter les difficultés budgétaires des établissements ou celles des étudiants et des personnels mais de déconstruire le discours dominant sur l’université. Où rien ne fonctionnerait.

C’est grâce à leur travail de leur recherche qu’ils ont eu l’idée de ce livre. « Sophie Orange travaillait sur les filières courtes du supérieur [bac +2] et moi sur l’échec et l’abandon dans les premières années de la licence, explique Romuald Bodin. Nous avons été surpris de constater le décalage grandissant entre ce qui se dit chez les dirigeants politiques, dans les médias mais aussi au sein même du monde universitaire et ce que nous observions pendant nos travaux. »

Les deux auteurs ont listé les idées reçues les plus récurrentes sur l’université décennie après décennie et les ont confrontées aux faits pour démontrer qu’elles sont infondées. En voici quatre :

1 L’UNIVERSITÉ NE SERAIT PAS ATTRACTIVE

« L’afflux vers l’université ne se tarit pas. Et le niveau du recrutement ne baisse pas non plus. L’université attire encore et toujours », affirment les deux sociologues. L’idée donc que l’université serait une « orientation par défaut ou subie voire de seconde main », pour des bacheliers qui auraient échoué à entrer en école de commerce, d’ingénieurs ou dans une classe préparatoire aux grandes écoles, ne tient pas la route. « Pour plus des deux tiers des étudiants nouvellement bacheliers, l’université est un choix » : Sophie Orange et Romuald Bodin ont analysé les choix opérés par les futurs bacheliers sur le site admission post-bac (APB). Ces futurs bacheliers avaient mis en premier choix une formation universitaire. La progression est réelle (+0,9 % entre 2010 et 2011) mais néanmoins moins forte que celle enregistrée dans l’enseignement supérieur privé (+2,7 %).

De même, l’idée selon laquelle, les étudiants n’auraient aucun projet professionnel lorsqu’ils arrivent à l’université est fausse. Les auteurs citent ainsi les données du ministère de l’enseignement supérieur qui montrent que 88 % des étudiants entrés en licence universitaire à la rentrée 2011 ont un projet professionnel et 44 % un projet bien précis.

2 LES BAC PRO ET TECHNO ENVAHIRAIENT LES UNIVERSITÉS

Depuis plusieurs années, c’est le discours qui prévaut. Les titulaires d’un baccalauréat professionnel ou technologique ne trouveraient pas de places dans les filières qui leur sont pourtant dévolues : les BTS pour les premiers, les DUT pour les seconds. Résultat : ils arriveraient en masse sur les bancs de l’université et y échoueraient. Un constat qui avait fait s’exclamer Geneviève Fioraso : « C’est une tuerie d’envoyer des bac pro à l’université ! » A chaque occasion, la ministre rappelle les chances d’obtenir une licence en trois ans pour les titulaires d’un bac pro ou techno en poche. Elles sont bien minces : 0 % pour les premiers, 10 % pour les seconds.

En réalité, Romuald Bodin et Sophie Orange soulignent que seulement 28,5 % des titulaires d’un bac pro continuent dans le supérieur contre 77 % des diplômés d’un bac techno et 98,7 % d’un bac général. Et qu’ensuite « les deux tiers de ces bacheliers professionnels s’inscrivent en STS contre seulement 27,4% à l’université. Les flux des bacheliers technologiques se concentrent sur les STS (54,5 % contre 23,2 % à l’université et 12,5 % en IUT), précisent-ils. Dans le même temps, c’est plus d’un bachelier général sur deux (52,8 %) qui entre à l’université, contre 10,8% en IUT et 8,8% en STS (...) A la rentrée 2011, l’université a accueilli 147 794 bacheliers généraux fraîchement diplômés, contre seulement quelque 12 000 bacheliers professionnels. »

3 LES ABANDONS ET L’ÉCHEC SERAIENT MASSIFS EN PREMIER CYCLE

En 2010-2011, sur l’ensemble des nouveaux bacheliers inscrits à l’université en première année de licence, moins de la moitié (43,1 %) ont accédé à la deuxième année. Si 25,4 % ont redoublé leur L1, 31,5 % ont aussi et surtout « abandonné » et ne se sont pas réinscrits. « Le tiers des étudiants entrés à l’université s’est ainsi évaporé à la fin de la première année » écrivent les auteurs.

Pour relativiser ce chiffre, ils l’ont comparé par rapport aux pays étrangers : aux Etats-Unis, plus d’un étudiant sur deux sortira du supérieur sans diplôme, au Royaume-Uni, le taux est de 35% et il grimpe à 55 % en Italie. « Cela peut surprendre et cela relativise bien l’idée d’une université française qui serait médiocre par rapport aux établissements étrangers », souligne Romuald Bodin.

Les deux auteurs ont aussi comparé ces taux d’abandon par rapport aux filières. Ainsi, en STS le taux d’abandon est de 8 à 10 %, en IUT de 15 % et il atteint entre 20 et 25 % en classe préparatoire aux grandes écoles. Enfin, toutes écoles confondues, il s’élève à 35 % après une première année.

Plus finement, ils ont essayé de montrer que ces 25 % d’abandon n’en étaient pas vraiment. Ainsi, à l’université de Poitiers, sur ces étudiants, plus d’un sur deux est inscrit dans une formation BTS ou DUT, plus d’un quart a un emploi précaire, plus de la moitié est en CDI. « Ils ne sont donc pas livrés à eux-mêmes, ne sont pas dans une situation catastrophique. Et parmi ceux qui sont dans une autre filière de l’enseignement supérieur, la plupart nous explique qu’ils ont réussi à y entrer grâce à leur première année d’université », insiste Romuald Bodin.

4 L’UNIVERSITÉ FORMERAIT DES CHÔMEURS

Alors qu’étude après étude, il est démontré que le diplôme est un rempart contre le chômage, que les dernières statistiques du ministère de l’enseignement supérieur montre que 90 % des titulaires d’un master, 91 % d’une licence professionnelle ou encore 88 % pour un DUT ont un emploi trente mois après leur sortie, l’idée selon laquelle l’université serait une fabrique à chômeurs persiste. « Parler de l’université comme d’une ’’usine à chômeurs’’ paraît donc pour le moins surprenant. Continuer à juger ainsi de l’avenir de ses étudiants, et ce, contre les faits, tient par conséquent bien plus du discours idéologique que du constat empirique », estiment les auteurs. « L’insertion professionnelle à l’université n’est peut-être pas parfaite mais elle est tout à fait satisfaisante », affirme Romuald Bodin.

Le travail de ces deux sociologues n’est pas passé inaperçu au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les deux auteurs ont été reçus par la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle.

Nathalie Brafman Journaliste au Monde


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