La gauche de gauche à l’épreuve des régionales. Une configuration unitaire contrastée
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Les listes pour les élections régionales sont maintenant déposées. Dernier avatar de ce feuilleté à multiples couches, combinaisons et partenaires : l’échec de la tentative de dernière heure du Parti socialiste de se sortir du guêpier constitué par Georges Frêche et ses amis et obligés (socialistes mais aussi communistes) en proposant une liste commune, sous sa direction bien sûr, à Europe Écologie et au Front de gauche. Une fois encore, l’espoir de voir la gauche de gauche rassembler ses forces – pas du tout négligeables comme le montre Frédéric Lebaron avec l’exemple du Limousin décrit dans l’encadré – va être très largement déçu. Seule exception qui confirme la règle : le Languedoc-Roussillon encore, où une liste unique rassemble NPA, Front de gauche et leurs alliés. Mais peut-être que la présence encombrante et les dérapages scandaleux de Georges Frêche ont-ils joué un rôle là aussi.
Les listes pour les élections régionales sont maintenant déposées. Dernier avatar de ce feuilleté à multiples couches, combinaisons et partenaires : l’échec de la tentative de dernière heure du Parti socialiste de se sortir du guêpier constitué par Georges Frêche et ses amis et obligés (socialistes mais aussi communistes) en proposant une liste commune, sous sa direction bien sûr, à Europe Écologie et au Front de gauche. Une fois encore, l’espoir de voir la gauche de gauche rassembler ses forces – pas du tout négligeables comme le montre Frédéric Lebaron avec l’exemple du Limousin décrit dans l’encadré – va être très largement déçu. Seule exception qui confirme la règle : le Languedoc-Roussillon encore, où une liste unique rassemble NPA, Front de gauche et leurs alliés. Mais peut-être que la présence encombrante et les dérapages scandaleux de Georges Frêche ont-ils joué un rôle là aussi.
À gauche de la gauche, le « grand » schisme entre le Front de gauche et le NPA est intervenu dès le mois de novembre 20091. Le NPA se retrouvait isolé, toutes les organisations ayant participé aux discussions entamées au mois de septembre – à son initiative, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes – signant avec le Front de gauche une déclaration commune le 17 décembre. Sans surprise, celle-ci rappelait que « [...] les listes qui nous rassembleront pour ces élections régionales, répondront à trois objectifs indissociables : changer les rapports de force à gauche en faveur de la ligne de transformation sociale et écologique ; battre la droite, empêcher Nicolas Sarkozy et l’UMP de reconquérir des régions pour en faire des relais de leur politique de régression sociale, autoritaire, basée sur la peur ; construire des majorités solidement ancrée à gauche, portant des projets vraiment alternatifs à la logique du système en crise, un projet de transformation sociale et écologique que nous voulons porter jusque dans les exécutifs, à l’exclusion de tout accord avec le Modem, si les conditions de ces avancées sont réalisées. » Mais la présentation même des organisations signataires introduisait une asymétrie. Le texte, intitulé « Ensemble, pour des régions à gauche, solidaires, écologiques et citoyennes », était en effet signé par : Le front de Gauche : Parti Communiste français, Parti de Gauche, Gauche Unitaire et Les Alternatifs, République et Socialisme, La Fase, le M’Pep, le PCOF2. [c’est nous qui soulignons]. Le Front de gauche d’un côté et d’abord, les autres ensuite ! Cette approche allait conduire le Front de gauche, tout au moins selon certains des signataires, à considérer que la composition des listes lui revenait, les autres organisations obtenant tout au plus quelques strapontins. Mais cette première ligne de tension allait se doubler d’une seconde : au sein même du Front de gauche, le Parti de gauche allait rapidement soupçonner, non sans raison, le Parti communiste de tirer la couverture à lui et de considérer les listes communes comme des listes communistes ouvertes au Front de gauche. Le Monde a décrit la situation résultant de ces conflits de la manière suivante au lendemain du meeting de lancement de la campagne nationale le 10 janvier 2010 à Paris : « Pourtant depuis un mois, les communistes avaient du fil à retordre avec leur turbulent allié. Mécontent des régions et départements qui étaient laissés à son parti, M. Mélenchon avait menacé de "rentrer en faisant ses valises", paraphrasant Georges Marchais lors de la rupture de l’Union de la gauche en 1977.[...] L’accord a été signé la veille. Sachant que leur salut dépend de leur politique unitaire, les communistes se sont faits plus coulants. Le Parti de gauche a obtenu deux départements de plus et trois têtes de listes départementales en Île-de-France. La Gauche unitaire de Christian Picquet, une région et quatre départements et les Alternatifs obtiennent l’Alsace. Le reste sera pour le PCF, soit environ 90 à 95 candidats pour 184 sortants. La fin des négociations s’est faite au détriment des autres petites formations comme la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase) et des personnalités comme Clémentine Autain ou Leila Chadli, minoritaire "unitaire" du NPA. »3 On pourrait ajouter à cela le refus de voir Patrick Braouezec conduire la liste commune en Île de France. Plus généralement, la Fase, et à travers elle les communistes unitaires, ont été une des principales victimes de cette situation. Il est intéressant de comparer la façon dont les divers protagonistes évaluent le résultat final de ces discussions sur les listes. Écorchée vive en l’occurrence, la Fase ne retient qu’un nombre minimal de régions où le texte du 17 décembre a été mis en œuvre. Partout ailleurs, elle relève ce qu’elle considère comme des rejets ou des empêchements (voir le tableau ci-après) Élections régionales 2010 - Le point sur la situation au 24 janvier 2010, en un tableau Ce tableau essaie de synthétiser et d’organiser les informations connues, pour 21 régions (celles de la France continentale, Corse et régions ultramarines non prises en compte donc). Bien entendu, toute classification de ce genre a quelque chose d’arbitraire, et la singularité des situations ne peut pas être rendue dans une telle synthèse. On perd en finesse ce qu’on gagne en vue d’ensemble.
Une autre lecture est évidemment possible. Le Parti de gauche présente par exemple sur son site une image beaucoup plus positive. Grâce à une carte de France métropolitaine interactive, on voit que le PG considère qu’il y a mise en œuvre de l’accord national dans la grande majorité des régions. Les seules exceptions, dues à la décision des fédérations communistes de faire liste commune avec le PS dès le premier tour, sont pour lui la Bretagne (avec une liste comprenant des « communistes favorables au Front de gauche »), la Basse-Normandie (où la PG fait alliance avec le NPA), Champagne-Ardenne (où l’intitulé même de la liste indique la couleur : « Liste anticapitaliste, écologiste et solidaire »), la Lorraine (avec une liste NPA, PG et des « communistes du Front lorrain de gauche »), la Bourgogne (avec une liste NPA, Fase, PG et « communistes de Bourgogne », avec le soutien de la fédération de l’Yonne du PCF) Concrètement, on constate donc des situations extrêmement diverses. Au regard des alliances d’abord. Cela va de la quasi-unité à gauche de la gauche, comme dans le Languedoc-Roussillon4, cité plus haut, à la coexistence, peu pacifique parfois, de deux et souvent trois listes demandant peu ou prou une réorientation radicale, dans le sens antilibéral, des politiques mises en œuvre au niveau des régions. Avec une différence de taille entre elles cependant. Celles du Front de gauche négocieront avec les socialistes et les Verts dès le soir du premier tour pour constituer une liste commune pour le deuxième tour, à condition qu’elles soient en situation de le faire, c’est-à-dire qu’elles franchissent la barre des 5% des suffrages exprimés. Les listes du NPA ou de Lutte ouvrière, toujours à condition de franchir cette barre, ne voudront pas d’une majorité de gestion et demanderont à rester libres de leurs votes, notamment pour le budget. Ce qui, selon toute vraisemblance, leur sera refusé et signifiera leur absence totale au second tour (il faudrait en effet qu’une de ces listes obtiennent 10% des voix pour pouvoir se maintenir sans fusion avec une autre). Reste à savoir ce que feront les candidats du Front de gauche si la négociation entre les deux tours inclut aussi le Modem. On peut s’attendre à ce que ceux des communistes qui ont rejoint les listes socialistes dès le premier tour avalent aussi cette couleuvre-là. Pour les autres, le dilemme sera le même que pour le NPA : sauf si la liste obtient 10% au premier tour, elle ne pourra pas se maintenir sans fusionner avec une autre. Dans le cas contraire, le risque existera d’une disparition pure et simple du conseil régional, avec la perte des avantages matériels, financiers et symboliques correspondants, sauf si les socialistes et les Verts décident de favoriser l’unité à gauche et, par conséquent, de ne pas les mettre dans une situation impossible. Il y a des régions en tout cas, Poitou-Charentes par exemple, où le Modem est déjà certain de figurer dans la future majorité du conseil régional et très vraisemblablement dans son exécutif.
Dans l’encadré qui suit, Frédéric Lebaron rend compte de la situation dans le Limousin, région de vieille tradition de gauche où l’unité a pu se faire, sans être totale pour autant.
Pour tenter d’avoir une vision concrète des négociations, nous avons demandé à Christophe Ventura, secrétaire national du PG et désigné à ce titre pour « suivre » la région Centre, de nous faire part de cette expérience. Il raconte : « Les problèmes apparus dans les négociations nationales étaient peu lisibles au plan local. Comme tout est allé vite, il fallait être réactif à tous les niveaux, et plus particulièrement entre les négociateurs nationaux, le secrétariat national du PG et les instances régionales. Il fallait répondre vite à toutes sortes de questions posées au niveau régional : où est-ce qu’on en est dans les négociations nationales ? Le PC nous propose tant de places, faut-il accepter ? Que faire avec le NPA, avec les Alternatifs ? »5
Le Centre s’est révélé rapidement être une région à problèmes. En effet, le PC régional ne savait pas au départ s’il allait suivre ou non l’accord national. « Deux approches contradictoires existaient en son sein : y aller avec les socialistes ou chercher autre chose. Mais des problèmes semblables se posaient dans toutes les régions. Le bureau national du PG a donc décidé d’élargir l’équipe initialement désignée pour suivre la campagne (Éric Coquerel et Pascale Le Néouannic, les négociateurs nationaux, François Delapierre, Hélène Franco, qui s’occupe de la commission des conflits). Chacun des vingt-et-un secrétaires nationaux a donc été "affecté" à une région pour faire le lien entre le local, le national et les négociateurs. Cela s’est mis en place à la mi-décembre. »
S’ajoutent à cela des « problèmes internes dans les comités du PG de la région. Certains de ces groupes sont assez petits, il y a donc tendance à amplifier les problèmes personnels, etc. Personnellement, cela m’a un peu dérouté : je me suis toujours occupé des questions internationales, à Attac puis au PG. Je n’étais donc pas habitué à ces conflits internes. Cela me plaît d’ailleurs très moyennement ! Mais il a fallu aller au charbon ! »
Plus concrètement, comment cette « mission » s’est-elle déroulée ? « Le rythme a été intense entre le 20 décembre et le 22 janvier. Et cela sur un double front : les difficultés avec le parti communiste, et les problèmes internes. Le fait que j’étais le "Parisien" a souvent calmé les choses, alors qu’on pouvait craindre le contraire. En fait, cela a parfois trop bien pris, sur le mode : "C’est toi qui sais, tu vas nous dire..." Constatant que les militants se connaissaient peu d’un département à l’autre (la région a 6 départements), j’ai proposé une réunion commune le 29 décembre, pour créer un minimum de coordination. Cela a permis à tout le monde, responsables et adhérents, de s’exprimer. La participation a été bonne, tous les comités étaient là. Une mise à niveau donc, question information. J’ai pu faire le point, notamment sur les informations nationales. Cette réunion a permis aussi de nommer un « coordinateur régional », Frédéric Orelle, un ancien militant du PS, très respecté. Il connaît le terrain et la plupart des gens. Ce qui m’a permis de me concentrer sur les liens entre les négociateurs nationaux (y compris pour défendre les intérêts du PG Centre !) et la coordination régionale. »
Et les relations avec le Parti communiste ? « J’ai pu travailler avec le PC, qui avait nommé un coordinateur régional (mais pas de missi dominici national), un camarade plutôt ouvert. C’est évidemment autour de la liste qu’il y a eu conflit. Les projections donnaient 11 élus au Front de gauche (pour 13 communistes sortants, élus en 2004 avec le PS). Le deal national donnait 2 PG sur les 8 premiers élus (soit 6 PC). Localement la Gauche unitaire de Christian Piquet n’existe pas. Il y a des Alternatifs et quelques PCOF. Cela n’a pas été facile avec les communistes. D’abord à cause de différences d’interprétation de l’accord : pour eux, sur les dix premiers élus, les huit communistes étaient en tête, suivis de 2 PG. Or l’accord disait deux dans les huit premiers, pas forcément en derniers. Par ailleurs, leur proposition ne laissait rien pour les autres. Nous défendions donc à la fois notre place et celle des Alternatifs. Cela ne s’est pas fait au bout du compte, mais pour des raisons liées aux Alternatifs eux-mêmes. Ils devaient avoir la tête de liste dans l’Eure et Loire. Mais leur candidat ne faisait pas l’unité chez eux. Il a convoqué une réunion large, avec le NPA, pour faire une liste avec eux. Le Parti communiste n’a pas accepté. Les Alternatifs ont finalement renoncé à leur place dans le Centre pour une autre en Aquitaine ! »
Comment expliquer ces difficultés, signalées aussi dans d’autres régions6 ? « Sur le fond, pour les communistes, il s’agissait de listes du Parti communiste ouvertes à d’autres. Le coordinateur régional du parti était pour un accord. Mais derrière lui, la position était autre. Ils ont été jusqu’à dire : "Nous récusons l’accord national", surtout dans le Cher. Nous sommes allés au clash. Ils voulaient non seulement un partage inéquitable des places, mais, en plus, nous dire où nous aurions des élus. Vers la mi-janvier, après consultation avec Coquerel, nous avons dit : "On arrête. Nous restons fidèles à l’accord national et vous dénions le droit d’utiliser le logo Front de Gauche. Et nous le ferons savoir." . On nous a répondu : "Vous êtes irresponsables, les électeurs de gauche vont être contents d’apprendre que vous pulvérisez les chances de la gauche !" Éric a alerté Francis Parny, le "négociateur national" du PCF et Marie-George Buffet. Cela a marché, sans que nous sachions exactement pourquoi. Il faut dire que des meetings nationaux étaient prévus dans le Centre, notamment avec Marc Dolez et Martine Billard. Dolez et Billard ont menacé de se désister. Vingt-quatre heures après, le coordinateur du PC rappelle le nôtre pour lui proposer un protocole d’accord. Ils acceptaient nos propositions pour la liste mais avaient préparé un préambule du style : "Le PC a considéré que, pour le bien de la gauche, il permettra au PG, etc.". Il a fallu exiger une co-rédaction de ce protocole, qui mette le PC et le PG à égalité de statut dans la construction des listes Centre, pour finalement boucler tout cela. »
Encadré :
La gauche de gauche presque unie en Limousin
Dans cette région historiquement ancrée à gauche, avec un conseil régional sous forte hégémonie socialiste (auquel participe depuis 1992 l’Alternative pour la démocratie et le socialisme – ADS, créée par Marcel Rigout, ancien ministre communiste de Pierre Mauroy, surtout implantée en Haute-Vienne7), le Front de gauche (10,07%) et le NPA (6,87%) ont totalisé à eux deux 16,95% des suffrages exprimés aux élections européennes de 2009, auxquels il faut ajouter les 1,29% de Lutte ouvrière (ce qui fait un total de plus de 18% à gauche de la gauche). Face aux 22,10% du PS et aux 12,35% d’Europe écologie, les européennes ont donc donné à cette « gauche critique » une position de force dont on pouvait penser qu’elle aurait des conséquences « entraînantes » sur le scrutin régional.
Une telle dynamique de rééquilibrage interne à la gauche risque pourtant de ne pas se prolonger. L’ADS, membre au niveau national de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), a décidé à l’issue d’une assemblée générale consensuelle en novembre 20098 de maintenir son alliance privilégiée avec le Parti socialiste et ses satellites, alors que le PCF, le NPA et le PG feront de leur côté liste commune. Cette division, qui peut sembler surprenante, trouve son fondement dans la structure politique de la Haute-Vienne, département le plus peuplé de la région, où l’ADS a préservé, depuis la scission du PCF dont cette petite organisation est issue, de nombreux élus locaux, souvent localisés dans des bastions comme la ville « rouge » de Saint-Junien, qui est le cœur de l’influence des « communistes ADS », où la gauche réalise des scores impressionnants. Le maintien sur la longue durée de ces nombreux postes électifs repose largement sur des accords solides et durables avec le PS, renouvelés régulièrement depuis le début des années 1990 ; celui-ci n’a sans doute pas manqué de mettre la poursuite de ces accords dans la balance des discussions, l’ADS, engagée dans la Fase, ayant pu envisager de tenter de prendre la tête d’une liste unitaire de la gauche de la gauche pour fusionner dans un second temps sur la base d’un rapport de forces solide. La perspective de vice-présidences quasi assurées n’a pas manqué de renforcer la tendance « réaliste » qui domine une organisation structurée autour d’élus disposant d’un capital symbolique local parfois notable, souvent issus du mouvement social (CGT, associations)9.
Cette situation illustre bien ce que l’on pourrait appeler les « antinomies de la gauche de gauche » : un capital d’élus parfois important crée une forte interdépendance de la composante la plus gestionnaire (le plus souvent issue du PCF, mais pas toujours) avec le PS, monnayée en postes de responsabilité dans les « exécutifs » des conseils généraux et régionaux ; à l’opposé, les partis ou organisations sans élus, en position de « challengers », peuvent bénéficier de dynamiques électorales fondées sur une plus grande clarté idéologique face à des politiques publiques, qui, quelle qu’en soit l’intention initiale, poursuivent la « gestion loyale du capitalisme » en tentant de lui donner une couleur plus « sociale ».
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