Le Nouveau parti anticapitaliste, LCR-bis ou ouverture à tous les courants de l’autre gauche ? (S/A n°5)

lundi 1er septembre 2008
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Au cours des dernières semaines, la (future) création du Nouveau parti anticapitaliste – une dénomination toute provisoire selon ses initiateurs – a été, au moins momentanément, un des principaux éléments structurant le débat dans le champ de la gauche de la gauche. Plusieurs autres initiatives peuvent en effet être lues soit comme un accompagnement du processus engagé par la LCR, soit au contraire comme un contre-feu. Cet article tente de faire un point très provisoire sur la création d’un nouveau parti politique ayant choisi l’anticapitalisme pour « valeur » cardinale,, notamment à partir d’un entretien avec Alain Krivine [1].

Les comités d’initiative pour un nouveau parti anticapitaliste (NPA) ont tenu leur première réunion nationale les 28 et 29 juin 2008. Ils ont désigné un comité d’animation national d’une soixantaine de membres, composé à parts à peu près égales d’adhérents de la Ligue communiste révolutionnaire et de non-adhérents. Ce comité a d’ores et déjà fixé les échéances à venir. Une nouvelle réunion nationale aura lieu en novembre, pour « adopter des documents soumis au vote du congrès national de fondation, qui devrait normalement se dérouler à la fin du mois de janvier » [2]. Le compte-rendu de la première réunion du comité d’animation relève que « La presse [...] a noté que le NPA, ce n’était pas une ’LCR-bis’ ». Ce qui traduit une préoccupation d’autant plus forte que le « soupçon » existe, notamment dans les autres groupes de la gauche de gauche. Pour montrer qu’il s’agit bien de faire du neuf, Alain Krivine affirme : « Si le congrès fondateur a lieu, nous dissoudrons la LCR avant ». Quelques semaines auparavant, l’hebdomadaire Politis avait publié dans son numéro du 15 mai 2008 un appel s’adressant aux « militants politiques, acteurs du mouvement social et culturel ». L’objectif était de construire un « cadre permanent qui [...] permette, ensemble, nationalement et localement, de réfléchir aux moyens d’une vraie réponse politique aux attaques de la droite et du Medef et d’aborder les grands rendez-vous qui s’annoncent ». Les signataires, minoritaires du PS et du PC, mais surtout animateurs d’autres partis de la gauche de la gauche ou des collectifs antilibéraux, intellectuels sans appartenance revendiquée, etc., n’ont pas échappé à un autre soupçon : celui de vouloir faire pièce au NPA. Éric Coquerel, président du Mars-Gauche républicaine, signataire de l’appel, écrit ainsi dans un commentaire : « La première [remarque], parce que les principales critiques concernent ce sujet : il est faux de le traduire comme une arme anti-NPA [3] ».

Mais il faut se garder de simplifier, la fluidité et les « doubles appartenances » étant monnaie courante dans la gauche de la gauche, preuve supplémentaire de la complexité de la situation dans ce champ. Plusieurs signataires de l’appel de Politis publiaient ainsi dans Le Monde du 30 mai, avec d’autres, une « Adresse aux initiateurs du NPA » dont le titre même – « Le Nouveau Parti anticapitaliste est-il vraiment décidé à s’ouvrir à tous les courants de l’autre gauche ? » – indiquait l’intérêt pour l’initiative de la LCR [4]. Des militants de celle-ci ne s’y sont pas trompés. Ils publiaient dès le 7 juin la « réponse de la LCR aux questions sur le "nouveau parti anticapitaliste" » [5]. Ils y présentaient la création du NPA comme « la création d’un véritable nouveau parti pluraliste » et non comme un « ravalement de façade [de la LCR] ». C’est l’accélération de la « mutation néolibérale (du PS) » qui justifie selon eux le fait que « l’anticapitalisme est [...] une valeur cardinale autour de laquelle doit se réorganiser une vraie gauche ». C’est « un processus en marche [...], non bouclé à l’avance » auquel sont conviés « les anticapitalistes, les révolutionnaires, les écologistes radicaux, les féministes, ceux qui refusent les discriminations systématiques qui affectent les populations issues de l’immigration, les antilibéraux, les altermondialistes, des militants communistes et socialistes, des anarchistes, des syndicalistes, des animateurs d’expériences alternatives locales, mais aussi les héros du quotidien, celles et ceux qui ne sont plus représentés ».

Reste un peu en marge de ces développements ce qui subsiste des collectifs antilibéraux. Ils se sont divisés dès après l’élection présidentielle de 2007. Certains d’entre eux ont constitué une structure, avec un secrétariat. Ce qui, à l’époque, était apparu comme la volonté de constituer une nouvelle organisation. Cette « Coordination nationale des collectifs unitaires – Pour une alternative au libéralisme » est confrontée aujourd’hui à des tensions internes qui l’ont conduite à ouvrir plusieurs débats sur son site [6]. Parmi les questions posées : Faut-il rejoindre le NPA qui, comme le note un internaute, « est perçu par certains comme un espoir [alors que] les comités antilibéraux peuvent porter aussi une espérance identique et nouvelle, par leur dynamique, qui est un peu différente » ? Le pire serait pour ce militant « que ces deux espérances se bâtissent l’une contre l’autre ». Faut-il signer l’appel de Politis ? Les principaux animateurs de la coordination semblent avoir tranché. On peut ainsi lire dans un texte du secrétariat des collectifs : « Cette initiative courageuse de Politis nous apparaît comme un pas vers les États généraux de la gauche de transformation sociale et écologique, que nous essayons de faire progresser depuis des mois ».

Dans ce contexte général, sur lequel pèsent par ailleurs des expériences étrangères plutôt contradictoires (le succès de Die Linke en Allemagne et la déroute de la gauche de la gauche italienne, par exemple), émergent des questions qui travaillent toutes les composantes de la gauche de la gauche. Sur quelle base idéologique et politique faut-il rassembler : L’antilibéralisme ? L’anticapitalisme ? Faut-il une organisation structurée ou suffit-il de mettre des collectifs en réseau ? Quel rapport au pouvoir et, par conséquent, à l’hypothèse d’une participation gouvernementale, ce qui n’a de sens dans un avenir prévisible qu’avec le PS ? Quel rôle pour les mobilisations ?

Qu’est-ce qui conduit aujourd’hui la LCR, plutôt connue pour sa discipline de parti et ayant jusqu’ici dans d’autres courants de gauche la réputation d’être plutôt sectaire, à prendre l’initiative de son autodissolution dans une force plus large et forcément moins « organisée » ? Ce sont ces questions que nous avons évoquées avec Alain Krivine. Pour lui, l’idée de créer un parti plus large est une tradition de la LCR.

Une aspiration ancienne

Alain Krivine : Depuis que nous avons créé la Ligue, nous n’avons jamais eu la prétention de rassembler tous les anticapitalistes en son sein. Donc, l’idée de nous élargir un jour est une très vieille idée. Cela explique d’ailleurs que nous avons toujours eu une pratique unitaire. Jusqu’en 1995, nous n’avons pratiquement jamais fait campagne en notre nom. Nous avons fait la campagne Juquin [7] en 1988, retirant d’ailleurs ma candidature pour cela. Nous avons été dans la CAP [8] dans les années 1990. Nous avons participé à tous les collectifs possibles, en retirant nos candidats, voire notre sigle. C’est une différence avec LO car, du coup, notre sigle n’était pas électoralement crédible, faute de nous présenter.

Nous ne regrettons rien mais sommes quand même obligés de constater que toutes ces tentatives ont échoué. La plupart de nos alliés de cette époque se sont d’ailleurs séparés de nous, rejoignant divers autres partis, le PS notamment. C’est d’ailleurs un sujet de débat interne chez nous, beaucoup pensant que nous n’avons fait que des erreurs. Je ne le pense pas. Il me paraît plus facile de corriger les choses sur la base d’une culture unitaire que d’une culture sectaire.

Pourquoi prendre l’initiative du NPA maintenant, après un échec, celui des candidatures unitaires, qui a beaucoup marqué les militants ?

A.K. : La LCR a participé à la campagne du non. Le résultat du référendum a été en un sens notre première victoire, et pas une victoire par procuration. C’était notre victoire. Nous nous sommes investis à fond et personne ne nous l’a reproché. C’est ensuite que cela s’est un peu gâté. Pour nous, le processus unitaire qui s’était développé à cette occasion était aussi source d’illusions. Mais nous nous sommes mal exprimés dans les débats qui ont suivi. Nous avions raison sur le fond mais nous l’avons mal expliqué. Ce qui nous a isolés. Nous avons essayé de faire admettre qu’il n’y avait pas de rapport entre le front réalisé pour le référendum et le front qu’il fallait rassembler pour la présidentielle, le contenu n’étant pas le même. C’est précisément là que nous voyions une différence de nature entre un non à une politique libérale et un oui pour une politique anticapitaliste.

Comment cette différence apparaissait-elle concrètement dans le débat ?

A.K. : Dans les comités pour le non, il y a eu une dérive progressive sur le thème : " si nous avons un candidat unitaire, nous ferons un score à deux chiffres à la présidentielle, etc." Une telle approche ne tenait pas compte, selon nous, des rapports de force. Nous avons alors concentré notre réflexion et nos interventions sur un point qui peut paraître secondaire à d’autres époques ou dans d’autres pays, c’est l’attitude par rapport au parti socialiste et aux institutions. Nous avons commencé la bataille dès l’automne 2005 aux assises de Saint-Denis des collectifs antilibéraux. Le texte proposé en conclusion contenait la formule : "nous n’irons pas dans un gouvernement sous hégémonie sociale-libérale". Connaissant le parti communiste, notamment, nous savions que cela pouvait vouloir dire tout et son contraire. Nous avons donc proposé la formule : "un gouvernement sous hégémonie du parti socialiste". Cela a été le clash. Le PC en a fait un casus belli, disant qu’il partirait si on parlait du PS. C’est là que, probablement, nous nous sommes mal fait comprendre. Car nous n’avons pas tenu compte du fait que, pour la majorité des membres des collectifs, il y avait un trait d’égalité entre social-libéralisme et PS. Notre position leur était donc incompréhensible. Cela a été le début de la rupture. Mais notre intuition allait se confirmer quand il devint évident que le terme social-libéral était un fourre-tout tel que F. Hollande allait s’en démarquer (comme il allait le faire pour le blairisme, d’ailleurs). Cet épisode et notre argumentation mal ajustée ont fait que nous avons dès lors commencé à être isolés. Nous avons quitté peu à peu le collectif national. Le mouvement s’est effiloché ensuite, notamment quand il y a eu diverses propositions de candidatures, dont pour finir celle de José Bové. Nous avons beaucoup de respect pour lui en tant que dirigeant syndical. Mais sur le plan politique, comment oublier qu’aux élections européennes de 2004, il avait appelé à voter pour Francis Wurtz, candidat communiste, à Paris, pour le socialiste Georges Frêche à Montpellier et pour le Vert Gérard Onesta à Toulouse ? Sans même parler de la « mission » que Ségolène Royal lui a proposée entre les deux tours de l’élection présidentielle et qu’il a acceptée. Il faut dire que là, nous n’avons pas été compris du tout, beaucoup de gens nous disant : « José Bové au moins, vous pourriez accepter... » Nous avons donc décidé de présenter Olivier Besancenot, tout en disant : « s’il y a un accord politique, nous le retirons ».

Comment expliquer après coup l’échec de la candidature unique ?

A.K. : Beaucoup ont pensé que l’échec était lié à une affaire d’ego. Je ne le crois pas du tout. Il y avait un vrai désaccord politique, ce que le parti communiste ne contestait pas d’ailleurs. C’est toute la question de la gauche de gauche et des relations avec le PS. Pour nous, il y a deux gauches dans notre pays, depuis le congrès de Tours en 1921 en fait. Elles peuvent agir ensemble mais non être ensemble dans un même parti ou au gouvernement. D’autres disent au contraire : « il y a une seule gauche et il faut la sortir de l’ornière libérale ».

En quoi la période vous paraît-elle propice à la création d’un nouveau parti ?

A.K. : Nous pensons qu’il y a une accumulation de conditions qui peuvent se révéler favorables. Il y a d’abord l’attaque sans précédent de la droite et du patronat, une véritable guerre sociale, qui révolte les gens. Il existe ensuite une volonté de résistance sociale, en France et ailleurs. Enfin, le mouvement social est de plus en plus orphelin de débouché politique. Les partis traditionnels de la gauche vont vers la droite, y compris au niveau européen. La base de leur accord politique est le fait qu’ils acceptent tous l’économie de marché. Personnellement, je ne vois pas de différence entre les dirigeants du parti socialiste français. Ils votent les mêmes textes internes, y compris Jean-Luc Mélenchon. Ce qui montre d’ailleurs que les prises de position au sein du parti socialiste en faveur du non en 2005 ont fait long feu. Pour nous le tropisme vers le social-libéralisme est inéluctable au sein du parti socialiste. Si l’évolution s’est produite plus tard que pour les autres partis socialiste européens, c’est uniquement à cause des rapports de force en France, principalement de la force du parti communiste, etc. Mais avec Marie-George Buffet à 1,8%, il n’ y a plus d’obstacle !

Pour nous, le fond du problème est le suivant : avec la mondialisation et les patrons qui ne lâchent plus rien, les réformes au sens traditionnel ne sont plus possibles. Si la social-démocratie en tant que force réformatrice ne veut pas disparaître, elle doit donc impérativement s’adapter à cette nouvelle situation. Ce qui ouvre une place à une nouvelle gauche, radicalement anticapitaliste. Avec l’effondrement du parti communiste, la situation est donc mûre pour la construction d’un nouveau parti, qui ne s’appellera bien entendu pas NPA. C’est, en résumé, la base de notre réflexion.

Les expériences étrangères ont-elles eu une influence dans votre réflexion ?

A.K. : Elles nous poussent à aller encore plus loin, dans le même sens. Toute une partie de la gauche anticapitaliste dans le monde fait le même choix que nous. D’autres ont fait un autre choix. Je prends des exemples aussi différents que Bertinotti en Italie, qui l’a payé très cher aux dernières élections, ou Lula au Brésil. On parle beaucoup de Die Linke en Allemagne. C’est effectivement une bonne chose dans le contexte allemand, mais en France, ce serait une régression. La majorité de Die Linke vient du parti communiste est-allemand, qui était plutôt stalinien. Elle est prête à basculer dans le réformisme, dès lors que le SPD lui tendra la main. Cela s’est effectivement passé comme cela à Berlin, où la coalition PDS/SPD a privatisé à tour de bras [9]. D’où notre insistance sur la nécessité de rompre avec ces pratiques. C’est le plus important. Aujourd’hui, cela n’aurait pas de sens de mettre en avant le trotskisme.

Programme, mobilisations, indépendance par rapport aux institutions

Quelles sont les grandes lignes du programme qui sera proposé pour le nouveau parti et comment le mettre en œuvre ?

A.K. : Il y a d’abord un accord avec les revendications essentielles du monde du travail. Contrairement à la gauche traditionnelle, nous ne posons pas d’abord la question de savoir si les mesures que nous préconisons sont intégrables dans l’économie de marché. Mais nous mettons l’accent d’abord sur ce qui est indispensable : le SMIC à 1 500 euros, 300 euros pour les retraités, les questions de l’environnement, les revendications des femmes, etc. Cela donne au total une quarantaine de mesures. Deuxième aspect essentiel pour nous : nous partons du principe que ces mesures pourront être appliquées s’il y a des mobilisations et non pas par la voie parlementaire. Nous les avons chiffrées. Ce que dit Olivier Besancenot à ce sujet n’a jamais été contesté.

Il y a donc à nos yeux rupture en termes de contenu des mesures, d’importance accordée aux mobilisations, et, s’agissant de la stratégie politique, indépendance par rapport aux institutions et au parti socialiste. On veut bien agir avec le PS mais nous n’acceptons pas de participer à un gouvernement avec lui, ni même à la gestion des villes. Ce point est d’ailleurs en débat avec des personnes, Clémentine Autain par exemple, qui sont pourtant très intéressées par notre démarche.

Il y a enfin l’idée de "révolutionner la société". Nos mesures attaquent en effet le capitalisme mais cela ne suffit pas, la société doit changer aussi. Cela constitue la base de notre projet. Tout le reste peut se discuter, y compris l’idée de participer à un gouvernement. Nous ne sommes pas contre en effet si cela se fait sur une base claire : un accord sur la nécessité de la rupture, sur le fait qu’on s’appuie sur les mobilisations. Ce qui suppose qu’il y ait des mobilisations. Dans le rapport de forces actuel, ce n’est pas le cas, il est donc exclu que nous allions au gouvernement. Si on était dans une situation comparable à mai 68, ce serait différent. Aujourd’hui, nous pesons bien davantage, étant à l’extérieur. Preuve en est le fait que le PS a cru devoir créer une commission pour étudier la façon de résister à Besancenot ! Certes, on pourra nous dire que cela contourne la question de la prise de pouvoir. Mais ceux qui y sont allés, le parti communiste en France ou Fausto Bertinotti en Italie ont tout perdu ! On ne peut donc être que contestataire dans les conditions actuelles. Mais, même dans cette posture, il faut être radical, sinon on perd aussi.

L’importance de la formation politique

Vous parlez beaucoup du rassemblement de militants de diverses traditions ou cultures politiques... Comment faire un parti efficace avec des courants très divers, des traditions de luttes, des cultures différentes. N’y a-t-il pas un risque de nivellement ?

A.K. : Il existe des expériences, plus ou moins réussies, le Bloc de gauche au Portugal, l’Alliance rouge et verte au Danemark. Dans ces cas, il s’agit au départ de coalitions de courants politiques organisés. Nous avons un avantage : il n’existe aucun courant nationalement organisé dans le NPA. Nous ne « négocions » donc pas avec un courant mais avec des militants. Il y aura quelques centaines de communistes, des ex-maos, etc. Mais ils seront complètement éparpillés. La masse des gens intéressés (10 000 contre 3 000 membres à la LCR) n’est pas constituée par des militants (quelques centaines de personnes très politisées, des communistes, des écolos, des anciens des comité Bové) mais par des gens nouveaux, avec lesquels nous n’avons aucune expérience. Ils sont "à fond contre Sarkozy", veulent "en découdre avec Sarkozy", disent : "la gauche, ça n’existe plus, c’est vous qui êtes la gauche". Pour eux, "le PS ne se bat pas", le PC n’existe même plus. En même temps, ils disent : "Olivier, il faut que tu ailles au gouvernement pour foutre toute cette racaille en l’air". Pour la participation gouvernementale, ils ne sont donc ni pour ni contre. Ou alors ils sont pour qu’on y aille, mais sans les socialistes. Dans les mails, ils racontent leur détresse et tiennent en même temps ce discours. C’est tout à fait nouveau pour nous. Ils sont prêts à entrer dans un parti mais personne ne sait comment ils vont militer. À Saint-Denis, par exemple, nous sommes 30 à la Ligue mais 80 personnes tournent autour du NPA. Nous faisons des réunions à 60 ou 65. Le problème, cela va être la formation politique, même si beaucoup de ces personnes ont une expérience militante. »

Comment voyez-vous cette formation politique ?

A.K. : Nous pensons qu’il faut une formation politique, dans un souci de démocratie, pour mettre les gens à égalité. À la LCR, nous disons : "les militants doivent avoir les moyens politiques de balancer la direction". Or, ici, on va avoir ce que je n’ai jamais connu, des niveaux politiques très différents. Nous ne craignons pas d’avoir une opposition lorsque nous ferons adopter le programme, dont le socle est déjà en débat dans les comités d’initiative. Ce qui nous posera problème, éventuellement, ce ne sont pas les gauchistes qui voudraient nous envahir mais les glissements droitiers de gens peu politisés. Mais il suffira de s’expliquer car ce ne sont pas des groupes organisés.

La formation sera assurée par les anciens de la Ligue ?

A.K. : Au début, certainement. Cela commencera avec l’université d’été qui, cette année, sera NPA/Ligue. On aura d’autres problèmes avec la venue de "personnalités" qui n’imaginent certainement pas ne pas être à la direction. C’est pourtant ce que nous voudrions éviter ! Nous pensons plutôt à des gens de terrain, représentatifs du mouvement social, qui se sont faits connaître dans des luttes. Les personnalités auront plutôt leur place dans les comités d’études que nous mettons en place. Comme ce qui reste des collectifs antilibéraux s’est divisé, certains viendront chez nous. C’est la même chose au sein du parti communiste. Mais nous ne voulons pas faire un parti qui soit un assemblage de personnalités. Les "généraux sans troupe", nous les avons expérimentés au cours de la campagne pour le "non" et on a vu ce que cela a donné.

Ceci dit, je le répète, nous allons un peu à la découverte. Il y a une part très empirique dans ce que nous faisons, nous avançons un peu à l’aveuglette. La réunion des comités à la fin juin constituera un test. Personne n’aura de mandat, chacun essayera de voir d’abord qui est qui. Nous ne cachons évidemment pas le fait que c’est la LCR qui a convoqué la réunion. Mais nous essayons de faire en sorte que dans les comités d’initiative, la LCR ne soit pas majoritaire. Nous allons vers un comité de pilotage national pour préparer un congrès avec la même idée : la moitié seulement des membres seront de la LCR. Le reste viendra du mouvement social, essentiellement des inorganisés jusqu’ici, représentant les luttes sociales. Le congrès est prévu en décembre ou janvier. S’il a lieu, nous dissoudrons la LCR avant, c’est une décision déjà prise.

Un vrai parti politique

N’est-ce pas un pari risqué ? La question de l’organisation semble en effet centrale, comme le montrent les problèmes d’un mouvement comme Attac ?

A.K. : Il y a une différence : nous construisons un parti politique, avec un programme. Mais je ne nie pas que nous avons un problème politique, y compris avec des membres de la LCR qui voudraient que le futur parti n’ait pas de statuts. Il faut donc expliquer. D’un autre côté, dès aujourd’hui, beaucoup des gens que nous rencontrons veulent adhérer à un parti, avec des statuts, avoir une carte. La LCR a déjà beaucoup changé. Nos nouveaux membres, des jeunes, sont "très révoltés et peu politisés". J’ai entendu, cas extrême, un jeune demander : "mais c’est qui ce Marx dont tout le monde parle ?" D’où la nécessité pour nous d’une éducation vraiment de base ».

Comment le processus de création prend-il forme concrète ?

A.K. : Essentiellement, par le travail des comités d’initiative. Là où ils existent, nous espaçons les réunions de la LCR. Les comités ont un bureau. Ils ont des thèmes de discussion et font des commissions pour approfondir des questions comme l’immigration, le service public, etc. Ils sortent des tracts, etc. Ces comités sont hétérogènes, certains de leurs membres ont une formation, d’autres s’intéressent surtout au "prochain collage". Ces comités intéressent beaucoup de "déçus" très divers, y compris des déçus d’Attac, soucieux de sortir des lieux où il y aurait surtout "des vieux qui discutent". Olivier Besancenot attire beaucoup de jeunes. Nous sommes conscients de la faiblesse que cela peut constituer. Olivier est d’ailleurs le premier à refuser le phénomène de "starisation", entretenu par les médias. Mais c’est une bataille permanente ! La télé pose un problème particulier à tous : ou bien on n’y va pas, ce qui est difficile aujourd’hui, ou bien on y va avec l’idée de la "retourner", ce que Olivier fait très bien en refusant notamment toute intrusion dans sa vie personnelle.

Comment faire avec si peu de cadres, au moment où l’humeur générale est à l’anti-délégation, à la démocratie participative, au consensus ? La culture d’organisation des militants actuels de la LCR va-t-elle diffuser spontanément ?

A.K. : Nous n’avons pas l’intention de céder à l’air du temps. Le noyau constitué par les militants de la LCR est une garantie. Nous voulons faire un parti de militants, pas un parti d’adhérents, même si le militantisme a évolué. Nous allons par exemple baisser les cotisations, tout en maintenant l’idée que l’adhésion doit se traduire par un effort, y compris financier. Mais les cotisations sont relativement élevées à la LCR, ce qui ne correspond peut-être plus à ce que sont les militants aujourd’hui. Nous comptons bien, dans le nouveau parti, poursuivre une vraie activité de parti, avec par exemple des réunions régulières et assez rapprochées. Ce qui ne se fait plus guère dans d’autres organisations ! ».


[1] Entretien avec Alain Krivine réalisé par Claude Poliak et Louis Weber le 13 juin 2008.

[2] Compte rendu de la première réunion du comité d’animation le 5 juillet 2008. Voir : http://www.lcr-rouge.org/spip.php?a...

[3] É. Coquerel, président du Mars, « L’appel de l’espoir », sur le site de Politis.

[4] Clémentine Autain, Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, Frédéric Lebaron, Michel Onfray, Arnaud Viviant, « Le Nouveau Parti anticapitaliste est-il vraiment décidé à s’ouvrir à tous les courants de l’autre gauche ? », Le Monde, 30 mai 2008.

[5] Philippe Corcuff, Pierre-François Grond, Anne Leclerc, « Gauche radicale, chiche », Le Monde, 7 juin 2008.

[6] http://www.gauchealternative.org/

[7] Pierre Juquin, ancien membre du bureau politique du parti communiste mais en rupture avec celui-ci, s’était porté candidat à l’élection présidentielle de 1988.

[8] La Convention pour une alternative progressiste (CAP) a été créée en 1994, par des membres et anciens membres de différentes organisations, dont le Parti communiste, le Mouvement des citoyens, la LCR, etc. La CAP se divise rapidement en deux grandes tendances : l’une veut faire de la CAP le creuset de la « gauche de la gauche », l’autre s’inscrit au contraire au cœur de la gauche parlementaire. La CAP a soutenu la candidature de Dominique Voynet à l’élection présidentielle de 1995.

[9] Allusion au gouvernement mis en place en 2001 dans la ville de Berlin (qui a un statut de Land), dans le cadre d’une coalition entre le SPD et le PDS, héritier du parti communiste de RDA. Sa politique, très contestée, a été à l’origine du refus des militants berlinois de l’autre composante de la future Linke, la WASG, de figurer sur les mêmes listes que le PDS, avant la fusion qui a donné naissance à Die Linke. Voir l’article de Michaël Brie dans Savoir/Agir, n° 3.


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