Parution du numéro 2 de la revue Savoir/agir
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Comme le fait de façon cyclique une fraction de la droite nationaliste depuis l’affaire Dreyfus, le candidat Sarkozy opposait, pendant la campagne électorale, « intellectuels » et « idée nationale » en dénonçant « [cette] intelligentsia qui considère qu’on n’a pas le droit de parler d’identité nationale [1] ». Manière de répartie, les auteurs de ce dossier se donnent le droit non seulement de parler de « l’identité nationale », mais encore de le faire sans accepter les termes du débat proposés aujourd’hui par la droite de gouvernement. Ils ne prétendent aucunement établir ce qu’est notre « identité nationale » aujourd’hui, ni ce qu’elle devrait être « dans l’idéal ». De façon plus modeste, mais non moins pertinente, ils retracent, à partir de leurs travaux, les évolutions des trente dernières années – évolutions qui ont conduit aujourd’hui, en France mais aussi ailleurs dans le monde, au retour visible de politiques publiques conduites au nom des « identités nationales ».
Ce dossier aborde ainsi la question des processus sociaux, des enchaînements de paroles politiques et d’actes administratifs qui ont permis la ré-émergence de ces catégories aux frontons de nos institutions, et essaie d’analyser leurs effets probables à court et moyen terme. Il propose différents éclairages de politistes, d’historiens, de sociologues et d’anthropologues permettant d’appréhender ce qui a rendu possible le réinvestissement massif, en des points distincts de l’échiquier politique, d’un lexique identitaire par les dirigeants de différents pays – un lexique « ethno-nationaliste » que l’on pouvait croire définitivement disqualifié depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le choix de s’intéresser aux effets plus qu’aux contenus alternatifs qui pourraient être donnés au concept d’« identité nationale » se justifie, à notre sens, par la gravité – et la rapidité – des évolutions actuelles. Les péroraisons exhortant au retour des drapeaux tricolores dans les classes d’écoles ont pu faire sourire un temps journalistes et commentateurs. Mais la promesse du candidat Sarkozy de créer un ministère de l’Immigration et de l’identité nationale est désormais tenue. L’heure n’est donc plus aux commentaires sur le caractère « opportuniste » ou « électoraliste » de certaines propositions. La multiplication des instances et des comités ad hoc, sous l’égide du nouveau ministère, comporte en effet le risque de voir non seulement renaître une recherche d’État servile, qui ne discute pas même les termes de son assujettissement, mais aussi de voir s’institutionnaliser des dispositifs de production de soupçon administratif à grande échelle. Soupçon à l’égard de l’Immigré, érigé en antithèse de la Nation, mais soupçon également à l’encontre de tous ceux qui refusent de souscrire béatement à une histoire manipulée pour étayer le « Grand récit » de la Nation.
Ce dossier propose plus précisément d’orienter la réflexion dans trois directions. Il entend en premier lieu, en faisant œuvre d’histoire des institutions et des débats, esquisser une réponse à la question : « comment en est-on arrivé là ? ». C’est le sens du propos d’Anne-Marie Thiesse sur le concept de nation en France, mais aussi des articles de Sylvain Laurens et de Marine De Lassalle, qui reviennent tous deux sur les politiques publiques et les débats autour de « l’immigration » et de « l’identité nationale » depuis les années 1960.
En second lieu, ce dossier se propose de donner quelques clefs de lecture pour anticiper les effets probables de ces politiques à court terme en France. Serge Slama, juriste, avance des éléments de réflexion sur les conséquences de ces nouveaux dispositifs d’identification administrative sur la vie quotidienne des personnes (ainsi de la proposition, même édulcorée au cours du débat parlementaire et par le Conseil constitutionnel, d’un fichage génétique pour les candidats au regroupement familial). Gérard Noiriel revient, dans le cadre de notre « grand entretien », sur les motivations des historiens démissionnaires de la Cité nationale de l’immigration, ainsi que sur les pièges que dressent devant l’historien les usages politiques de l’histoire et le couplage théorique forcé entre « immigration » et « identité nationale ».
En troisième et dernier lieu, ce dossier choisit de décentrer notre regard et de quitter la situation « franco-française » contemporaine pour jeter un coup d’œil sur ce qui a pu se jouer ailleurs ou en d’autres temps. Romain Bertrand rappelle ainsi, au terme d’un tour d’horizon des nouveaux courants de « l’histoire-monde » et de l’« histoire connectée », que la fabrique moderne des identités et des territoires politiques s’enracine dans un « moment impérial » tout autant asiatique ou africain qu’européen, et que l’on ne saurait en rendre compte de manière adéquate en lui appliquant une lecture « nationale » anachronique. L’exemple de la Côte d’Ivoire et l’analyse par Laurent Bazin des politiques de « l’ivoirité » nous éclairent ensuite sur les effets liberticides d’un principe de vision et de division « identitaire » du social promu aux sommets de l’État. Enfin, l’article de Keith Dixon sur les usages du concept de Britishness au sein du parti travailliste montre comment, en Grande-Bretagne, cette notion fixiste de l’« identité nationale » se cristallise dans des rapports de force politiques qui entérinent une lecture a-sociologique des pratiques sociales et culturelles.
Sommaire
Éditorial, par Frédéric Lebaron
Dossier
Identité(s) nationale(s) : le retour des politiques de l’identité ?
Présentation du dossier, par Romain Bertrand et Sylvain Laurens
Le concept de nation en France, par Anne-Marie Thiesse
Le « ministère symptôme » : retour sur quarante ans de bégaiement au sein de l’État français, par Sylvain Laurens
Construire des opinions publiques, Les usages politiques de la thématique de l’identité nationale dans les débats sur l’immigration, par Marine De Lassale
Un chemin de l’identité, Le tri des étrangers par l’assignation à une identité, par Serge Slama
Par-delà le Grand récit de la Nation : l’identité nationale au prisme de l’histoire globale, par Romain Bertrand
L’idéologie de l’identité nationale, un facteur de désagrégation de la société - Éclairages à partir de la Côte d’Ivoire, par Laurent Bazin
Identités britanniques. L’éclatement de la Grande-Bretagne, par Keith Dixon.
Grand entretien
« L’identité nationale » en France, avec Gérard Noiriel.
À propos de deux ouvrages récents de Gérard Noiriel, par Gérard Mauger
Paroles
Et après ils te poussent à la faute. Histoire d’un cadre sous pression, par Ferrucio Riccardi et Laurent Willemez
La rhétorique réactionnaire
Responsabilité, par Gérard Mauger
La chronique de la gauche de la gauche
Variations sur la « force nouvelle », par Louis Weber
Actualité
Le leurre de la loi pénitentiaire, par Grégory Salle
Politiques d’ailleurs
La gauche au pouvoir en Amérique latine, par Renaud Lambert
Publications
A propos de L’islam, un recours pour les jeunes, par Etienne Pingaud
[1] Nicolas Sarkozy, discours de Vesoul, 13 mars 2007.