L’association Savoir/Agir
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L’association Savoir/Agir a pris la succession de l’association Raisons d’agir à la suite d’une décision de l’Assemblée générale de celle-ci adoptée le 16 mars 2010. Les objectifs restent cependant les mêmes.
Raisons d’agir a été créé autour de Pierre Bourdieu peu après les mouvements sociaux et les pétitions de novembre-décembre 95 en soutien aux grévistes. Le groupe est devenu une association "loi 1901" en avril 1998 [1]
À l’origine, il faut rappeler qu’un petit groupe de chercheurs réunis à la suite du mouvement social ont alors ressenti la nécessité de donner plus de force sociale et politique aux travaux, recherches, réflexions, analyses qui contredisent les discours dominants, en particulier les discours économiques diffusés quotidiennement à la télévision, sur les ondes. Ceux-ci affirment sans cesse, au nom de la science, l’inéluctabilité des "lois d’airain" de l’économie, de la mondialisation néolibérale, de la flexibilisation du travail, de la soumission de tous les secteurs et de toutes les activités au capitalisme triomphant. Il s’agissait donc d’abord de faire exister dans l’espace public, dans le champ politique, des positions à la fois critiques et rationnelles, de contester par l’existence même d’une critique intellectuelle cette idée selon laquelle le "cercle de la Raison" s’arrête aux think tanks libéraux, aux économistes de marché et aux intellectuels médiatiques omniprésents.
Cette définition très générale du projet de Raisons d’agir pourrait sembler négative ou réactive, mais elle peut aussi être comprise comme une entreprise constructive, puisqu’il s’agit de promouvoir activement, et sur divers terrains, une série d’orientations scientifico-politiques précises et exigeantes.
Le premier axe est la défense et la promotion de l’autonomie de l’ensemble des producteurs culturels face aux forces économiques dominantes, aux contraintes voire aux censures des marchés : qu’il s’agisse des artistes, cinéastes, écrivains, ou encore des chercheurs et universitaires (et pas seulement en sciences sociales), l’heure est à la résistance active et à la conquête de nouvelles formes d’autonomie créatrice, à l’invention de nouveaux modes d’ "autogestion" intellectuelle et professionnelle. En liaison avec l’ARESER (Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche), Raisons d’agir propose ainsi par exemple une réforme radicale des universités françaises qui favorise le développement d’une production scientifique dynamique et autonome.
Le deuxième axe, qui suit logiquement le précédent, est le contrôle par les producteurs culturels des instruments de diffusion des œuvres, dans un contexte où la pression économique s’exerce tout particulièrement en ce domaine. C’est la principale motivation de la création en 1996 d’une maison d’édition associative (association loi 1901), les éditions Liber-Raisons d’agir, devenues éditions Raisons d’agir, qui publient notamment, dans de petits ouvrages faciles d’accès, les travaux émanant du collectif Raisons d’agir et des textes auxquels la censure du marché et la logique médiatique dominante laissent peu de chances. Alors que le champ journalistique, lui-même de plus en plus soumis aux forces économiques, pèse toujours plus sur la diffusion des biens culturels, il s’agit aussi de fournir des armes à un journalisme critique indépendant, à contre-courant.
Le troisième axe renvoie plus directement à la spécialisation des membres du groupe dans la recherche en sciences sociales. Dans le prolongement de La Misère du Monde, c’est en tant que chercheurs que nous soulignons les effets économiques et sociaux dévastateurs des politiques économiques libérales menées partout dans le monde, en particulier depuis la venue au pouvoir de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan aux États-Unis. Démantèlement de l’État social, remplacement de l’État social par un État pénal déjà bien avancé aux États-Unis, remise en cause des services publics, disqualification de l’action syndicale conduisent au développement de la pauvreté, de la précarité, de la misère de condition comme de la misère de position (celle des travailleurs sociaux, des enseignants, des employés des services publics déstabilisés et stigmatisés par la rhétorique néolibérale). Dans ce processus de montée de l’insécurité sociale, dont sont particulièrement victimes les plus faibles, la responsabilité de choix politiques inspirés par les modes de pensée accrédités par les think tanks libéraux, est immense. C’est pourquoi nous proposons d’inverser rapidement le sens des priorités, en contribuant à la construction d’une nouvelle forme d’Etat social, qui passe aujourd’hui notamment par l’invention d’un Etat social européen, d’une Europe sociale réelle et pas seulement rhétorique. C’est dans ce contexte que Raisons d’agir s’est prononcé en avril 1998 de façon très critique sur divers aspects de la politique économique et sociale du gouvernement dit "de la gauche plurielle" dans un article intitulé "Pour une gauche de gauche". Deux ans après, la validité de cette analyse reste entière, même si les mouvements sociaux ont essayé, par leur pression civique constante sur le gouvernement français, d’infléchir un peu sa politique dans un sens plus progressiste.
Le quatrième axe de notre intervention découle très logiquement de ce qui précède. Il n’y aura pas d’Europe sociale, et plus largement d’instauration à l’échelle mondiale de véritables normes sociales (en matière de conditions de travail, de rémunérations, de protection sociale…), sans un "mouvement social européen", et plus largement une nouvelle "internationale", un nouvel internationalisme, force collective organisée qui transcende les frontières nationales. Depuis plusieurs années, nous travaillons, en liaison étroite avec les diverses composantes du mouvement social, à une rénovation radicale des organisations et des pratiques syndicales, associatives (en matière sociale ou environnementale), dans le sens d’une internationalisation réelle et pas seulement rhétorique. Ce qui s’est passé en décembre 1999 à Seattle nous donne très largement raison sur ce point et nous donne aussi des raisons d’agir et d’être aujourd’hui un peu plus optimistes. Cela illustre l’idée que l’analyse pratique des logiques de la médiatisation peut permettre une utilisation rationnelle de ces logiques au service de fins universelles, comme l’instauration mondiale de normes sociales et environnementales rigoureuses et contraignantes pour l’ensemble des acteurs privés. Nous avons eu un rôle d’aiguillon dans le sens du décloisonnement, de la mise en réseau des acteurs sociaux transnationaux tels que les syndicats, les ONG (y compris à l’occasion de crises dans les relations internationales comme la guerre du Kosovo), de l’invention de formes originales d’action comme l’association ATTAC. Pour cela, nous utilisons notre pratique de chercheurs en sciences sociales pour analyser les mécanismes qui tendent à la reproduction des hiérarchies et des dépendances à l’intérieur des organisations et des mouvements sociaux, en particulier à travers la logique sociale de la délégation à des représentants. C’est dans ce cadre que nous contribuons à la réflexion actuelle sur la nature et les conditions d’une véritable autonomie des mouvements sociaux.
Sans prétendre détenir quelque monopole que ce soit, il s’agit donc de participer au renouveau de la critique économique, politique et sociale en s’appuyant sur les travaux, les méthodes, et les résultats des sciences sociales.
[1] Ce texte a été présenté au colloque « La précarité sous surveillance en Europe » à Bruxelles le 12 décembre 1999 par Frédéric Lebaron, président de l’association Raisons d’agir
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