Un champ de ruines. Reconstruire, mais comment ? (S/A n°1)

samedi 1er septembre 2007
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Gauche critique, gauche radicale, gauche de la transformation sociale… le vocabulaire n’est pas toujours très stable. Les animateurs de la gauche de la gauche utilisent l’une ou l’autre de ces expressions, parfois les trois ensemble. Incapacité de bien encore délimiter l’espace politique revendiqué ? Volonté de privilégier, y compris dans la façon de se nommer, le fait qu’il s’agit d’un processus en cours et non pas d’une structuration figée ? Tout cela à la fois sans doute. Louis Weber a interrogé quelques-uns des animateurs des collectifs issus du 29 mai sur leur analyse des raisons de l’échec électoral et la façon dont ils voient la suite. Pour ce premier article, priorité a été donnée de façon délibérée à des interlocuteurs issus du "mouvement social", de préférence aux responsables politiques "officiels" des partis de la gauche de la gauche.

Si la séquence électorale de 2007 et surtout l’élection présidentielle ont constitué une lourde défaite pour la gauche, la situation est pire encore pour la « gauche de la gauche ». Au-delà de la faiblesse globale du score des trois candidats rescapés du processus mis en place pour désigner un(e) ‘candidature unitaire’ issu(e) du ‘non de gauche’ au référendum du 29 mai 2005, c’est la situation dans les divers collectifs héritiers de ceux qui s’étaient constitués dans tout le pays au cours de la campagne du ‘non’ qui frappe. « L’espace antilibéral a multiplié les fragmentations », pour Claude Debons, principal coordinateur des collectifs du non, puis des collectifs unitaires créés à leur suite en mai 2006 pour animer la campagne antilibérale en vue des élections de 2007. Un « champ de ruines » pour Claire Villiers, vice-présidente du Conseil régional d’Île de France, qui a participé à la première coalition électorale à « gauche de la gauche » à l’occasion des élections régionales de 2003. Le résultat le plus immédiat a été l’organisation de deux réunions distinctes après les législatives. La première a eu lieu les 23 et 24 juin derniers et a rassemblé essentiellement, mais pas exclusivement, ce qui restait des comités Bové. Elle a adopté un texte et annoncé des « Assises des collectifs unitaires à l’automne 2007 ». Comme tous les mots sont en général codés dans ce type de document, il faut regarder de près ce que contient, pour les initiateurs de la réunion, le mot-tiroir de « collectifs unitaires » : il s’agit de « citoyens engagés, membres ou non d’organisations politiques, associatives, syndicales, de courants. », porteurs donc d’appartenances variés mais sans les représenter, les organisations n’étant pas en tant que telles membres des collectifs. Ce qui rompt avec une pratique instaurée il y a une vingtaine d’années – le même structure réunissant des individus et des organisations – et qui, il faut le reconnaître, a été à l’origine de bien des crises. Deux semaines après, le 7 juillet, quelques-uns des principaux animateurs du mouvement depuis le référendum, individus mais aussi représentants d’organisations ou de fractions d’organisations, annonçaient la création de « Maintenant à gauche ! ». L’ambition annoncée, « contribuer à l’émergence d’une nouvelle force politique de la gauche de transformation », n’est pas différente. Mais il n’est pas question pour le moment de créer une structure ou un réseau supplémentaires, qui prendrait ensuite contact avec les forces constituées et s’efforcerait de les rassembler. « Maintenant, à gauche ! » voudrait parler d’abord de contenu et inciter les partis actuels de la « gauche de gauche », le Parti communiste, la Ligue communiste révolutionnaire et quelques autres, à « se dépasser » et non pas les contourner en les tenant d’abord à l’écart. C’est une des lignes de tension anciennes au sein de la gauche de gauche. Que faire des partis politiques existants, en somme ? Pour bien comprendre comment et pourquoi cette question peut se poser, il faut tenir compte du fait que parmi les militants qui se sont rassemblés pour constituer dans la période récente les collectifs aujourd’hui en crise, beaucoup étaient soit en rupture de parti, soit minoritaires dans leurs partis ou encore engagés dans ces structures nouvelles que sont les collectifs par allergie aux partis.

Pourquoi la crise des collectifs ?

Les réponses sont évidemment différentes selon les origines militantes des protagonistes que nous avons interrogés. Une constante apparaît cependant : chacun a pointé la difficulté à articuler le social et le politique comme une des causes principales de l’échec du processus. Ce qui met d’abord en cause les partis politiques constitués, incapables de proposer un relais politique à un mouvement social particulièrement dynamique et innovant depuis une bonne dizaine d’années. Et cela faute d’avoir un ‘projet’, un mot qui, après une période de relatif discrédit après les désillusions de l’après-1981, reviendra souvent dans les conversations.La période 1995-2006 a en effet été celle de luttes sociales qui ont transformé le pays et changé le rapport des Français à la politique. Mais aucune de ces luttes n’a pu être convertie en projet susceptible d’être porté par une majorité de la population.

Christophe Aguitton a participé à beaucoup d’initiatives sociales innovantes depuis la création de Sud-PTT à la fin des années 1980. Il s’est retrouvé avec José Bové dès après le référendum. Pour lui, la victoire du ‘non’ ouvrait précisément une perspective pour articuler politique et mouvements sociaux. « Le premier appel, en septembre 2005, a été signé par un large éventail de personnes et d’organisations, y compris la LCR. Beaucoup de jeunes se sont engagés par ailleurs, notamment à partir de l’appel ‘Votez Y’ [1]. Trois projets coexistaient cependant chez les participants. Les Verts étaient pour une candidature unique de la gauche. Une partie du mouvement associatif prônait un ‘consensus interpellatoire’ pour faire pression sur les candidats, sans envisager cependant une candidature propre. Enfin, une dernière composante voulait dès ce moment rassembler le courant antilibéral et présenter une candidature à ce titre, celle de José Bové en l’occurrence. Le problème, à cette époque, était le‘poids social’ assez faible du rassemblement. Ce n’est que progressivement en effet que les anciens comités du non ont basculé vers les nouveaux comités. Mais la vraie difficulté, jamais surmontée, était le fait que, pour toute une série de raisons, les comités avaient besoin des ‘appareils’, alors que ceux-ci, souvent des ‘micro-appareils’ au demeurant, portaient une pléthore de particularismes et d’intérêts propres ». D’où, pour Christophe Aguitton, deux raisons immédiates à l’échec. La première est conjoncturelle. « Elle vient de ce que j’appelle ‘l’effet pétrole’ : les pays qui bénéficient de la rente pétrolière cessent de penser leur avenir. À la LCR, l’effet Besancenot joue le même rôle et empêche ainsi de faire de la politique. La deuxième raison, plus profonde et plus grave, tient au fait que la gauche dans son ensemble est incapable de penser en termes renouvelés le capitalisme du xxie siècle, et donc la sortie du capitalisme. » Roger Martelli est membre de la direction du parti communiste et un des initiateurs de la création des « Refondateurs communistes » en mars 2007. Il note, à partir de 1993, une inflexion sur le terrain de la conflictualité sociale, alors que les deux décennies précédentes avaient été marquées par un grand reflux et une succession de défaites ouvrières. « À partir de ces années, on voit apparaître un nouvel acteur : le mouvement social, qui ne se confond pas tout à fait avec le mouvement ouvrier. Ce qui fait émerger un problème qui n’a pas trouvé de solution à ce jour : comment articuler la conflictualité sociale à une construction politique ? La difficulté, c’est la dichotomie entre le champ politique constitué, avec les partis qui existent, et le mouvement social. L’extrême gauche a certes eu l’intelligence de se raccrocher au mouvement social (liens avec les « sans », les nouveaux syndicats). Mais, comme le PC ou le PS, elle propose des réponses anciennes à des mouvements qui sont nouveaux. »

Pour lui, le projet de TCE avait un aspect global, articulant l’économique, le social et l’institutionnel. Ce qui a « en quelque sorte contraint à une rencontre ‘nécessaire’ depuis 1995. Les collectifs du non ont rassemblé mouvement social, syndicats et partis politiques, dans une dynamique d’agrégation. Alors que tout avait échoué entre 1995 et 2005, cela a marché, non seulement théoriquement mais aussi pratiquement. C’est la tentative de ‘reproduire’ ce processus dans la séquence électorale de 2007 qui a échoué. »

« Le xxe siècle a été marqué en France par un certain type de relation entre le social et le politique, distincte de celle du travaillisme et de la social-démocratie. Il y a eu longtemps une forte subordination du social au politique, notamment à la CGT. Cette subordination a été ‘propulsive’ à une certaine époque. Mais il y a eu inversion vers 1960. Pour échapper à la subordination, les syndicats se sont affranchis du politique, selon des modalités variées. À ce modèle s’ajoute le syndicalisme révolutionnaire, qui postule que l’association syndicale ou sociale peut être elle-même le lieu de la recomposition politique. Il influence une grande partie du nouveau mouvement associatif dit de lutte, notamment autour de José Bové. L’articulation ne se fait dans aucun de ces cas, ce sont alors les logiques d’organisations, voire d’appareils, qui finissent par dominer. » Claude Debons a été au cœur de la plupart des dispositifs unitaires mis en place avant et après le 29 mai 2005. « Ce qui faisait alors ‘sens commun’ pour la gauche antilibérale est résumé dans l’appel des 200 d’octobre 2004 : le non au référendum et la réorientation nécessaire de la construction européenne. L’idée était alors de couvrir le pays avec des collectifs unitaires pour le non. Pour les associations, les syndicats et les militants individuels, il s’agissait de trouver un cadre qui préserve du ralliement à un parti politique. Le mouvement est allé crescendo, avec rapidement des meetings unitaires très suivis. » Pour lui, « les ennuis ont commencé quand il s’est agi de répondre à la question : que faire de cette victoire ? Les mauvais signes, qui annonçaient la suite, sont venus très tôt. Les partis politiques ont en effet fait une mauvaise lecture de ce qui s’était produit. Par exemple, Marie-George Buffet a proposé rapidement une ‘candidature communiste à la présidentielle pour incarner le "non". Pour la LCR, les collectifs avaient rempli leur mission et le temps était venu de se rassembler autour d’Olivier Besancenot. Les Verts ont été absorbés par leurs enjeux internes. Il y a donc eu, pendant un temps, retrait des militants politiques. Les collectifs ont survécu grâce aux militants associatifs et syndicaux. Nous avions les échéances électorales de 2007 en tête. Mais nous avons vu dans l’appel autour de José Bové en septembre 2005, le risque de ‘pulvériser les collectifs’ et avons privilégié un processus plus lent de maturation, en posant d’abord les questions programmatiques, à commencer par la rédaction d’une Charte. Cette divergence de vues sur les étapes de la construction unitaire reste aujourd’hui une de nos difficultés.

Pour Claude Debons, « la direction du PCF n’a jamais envisagé autre chose que la candidature de Marie-George Buffet, confortée par le retrait de la LCR et de PRS. Les collectifs n’ont pas réussi à faire admettre que le rassemblement ne pouvait pas se faire autour d’une ‘grande figure’ de l’un des partis de la gauche de la gauche. Des écolos, altermondialiste et quelques collectifs ont ensuite orchestré le retour de Bové (pétition Internet). Mais deux conceptions différentes se sont exprimées au moment de prendre la décision : aller jusqu’au bout, quoi qu’il arrive, ou faire du projet de candidature une « interpellation unitaire », un moyen de pression sur les deux autres (Besancenot, Buffet) en lui donnant une légitimité plus grande grâce aux collectifs. Rendez-vous devait être pris en mars pour évaluer la dynamique engendrée. Mais la machine était lancée.

Au-delà de la difficulté à s’entendre sur une candidature commune, Claude Debons voit lui aussi la question des structures : « Fallait-il pousser à la création d’un ‘mouvement du 29 mai’ ? Les principaux animateurs du collectif national n’ont pas souhaité créer un ‘mouvement’ supplémentaire, mais dépasser la fragmentation en intégrant des composantes diverses. Les trajectoires des uns et des autres ont ensuite divergé au cours de la campagne, dans un (tout) petit espace politique, l’espace antilibéral. » Claire Villiers est venue à la politique à partir du syndicalisme. Elle défendait au sein de la CFDT l’idée que « l’autogestion est la suite du syndicalisme révolutionnaire ». Elle a ensuite « transposé dans la sphère politique sa posture syndicale, avec le refus de la division : champ politique/champ syndical, syndicat/parti. »

Pour elle aussi, « c’est la hiérarchie/articulation entre le social et le politique qui est au cœur des débats de la gauche de la gauche. Comment exercer le pouvoir ? Quel rôle pour les élus ?, etc. » Dans son expérience militante, et s’agissant de difficultés liées à la structuration d’un mouvement, AC ! a constitué un archétype. « L’idée a été de mettre ensemble des syndicats, des associations et des chercheurs. Dès l’origine, on retrouvait une configuration qui avait déjà posé des problèmes à Ras l’Front : il y avait d’un côté un réseau fondé par des responsables d’organisations (même si celles-ci ne s’impliquaient pas forcément) et de l’autre des individus qui voulaient créer une organisation et qui ne se sentaient pas représentés dans ce réseau des réseaux. Ce problème, jamais résolu, va se poser plus tard dans ATTAC, entre autres. Les collectifs unitaires n’allaient pas y échapper , avec une difficulté supplémentaire : la présence de minoritaires d’organisations non participantes. »

Pour elle, les raisons de l’échec sont complexes. « La LCR n’a pas de vision stratégique pour la gauche radicale autre que le grossissement de la LCR. Elle ne sait pas répondre à la question : comment un militant révolutionnaire peut-il inscrire son action dans un travail institutionnel ? Le PCF reste la force principale, en termes de militants. Mais son problème est le même : comment en France, en Europe et dans le monde, concevoir les outils pour rassembler la gauche radicale, ce qui suppose son propre dépassement. Les partenaires du PCF ont cru qu’il était prêt à mener le débat jusqu’au bout avec Marie-George Buffet comme proposition, puis s’incliner. L’expérience a montré qu’il y avait erreur. »

La gauche de la gauche a aussi sous-estimé l’état réel du pays, sur le plan idéologique. Le référendum avait fait illusion parce qu’il s’agissait d’une bataille en ‘contre’. Claire Villiers ne croit pas à un glissement à droite de la société « mais il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles des antilibéraux de 1995 ont pu voter pour Sarkozy. Il faut trouver les réponses à tous les étages. Par exemple, pour la TVA sociale, il ne suffit pas de dire qu’elle fera augmenter les prix. Il faut aller plus loin et montrer qu’elle détourne une part de la richesse produite au bénéfice du patronat. Il y a un problème de compréhension des relations dialectiques entre l’individuel et le collectif. Il faut montrer que sans garanties collectives, il n’y a pas de perspective pour les individus. »

François Labroille a été responsable syndical à la FSU jusqu’en 2003. Il est ensuite entré en politique, via la CCAG et les élections régionales de 2004. Au départ, il s’agissait pour lui de « contribuer à rassembler un arc de forces très large à la gauche du PS, avec des personnes ayant des pratiques différentes et qui veulent dépasser aussi bien le champ politique que le champ syndical traditionnels, faire bouger en somme les lignes entre les deux. Les partis politiques ont une vision erronée du champ social, qu’ils veulent instrumentaliser. Les mouvements sociaux ont souvent une visée condescendante du politique. » Ce qui était intéressant dans le mouvement, « c’était les trajectoires, des individus. S’il y a échec aujourd’hui, il n’est que provisoire. » Car il y a eu « décloisonnement de ce qui était jusqu’alors en concurrence. Il s’agissait d’intégrer les expériences de ceux que l’on combattait jusqu’alors. En dépassant la concurrence, on va beaucoup plus loin. »

N’ayant jamais « surestimé la dynamique du ‘non’, qui était complexe, avec une part de régression », il constate cependant que « la dynamique unitaire s’est rompue et qu’il faut donc ‘construire’ quelque chose de neuf. » Les difficultés sont anciennes. « À partir de 1995, il y a eu échec répété dans les tentatives de produire des alternatives. Au cours du mouvement de cette année-là, il y avait des enjeux de société, l’aspiration à la démocratie par exemple, et pas seulement des revendications matérielles. Mais le résultat a été très pauvre de ce point de vue. Le phénomène s’est reproduit en 2003 : le mouvement a posé des questions essentielles, la solidarité entre générations, par exemple. Mais il n’y a eu ni débouché intellectuel, ni débouché social, ni débouché politique. » « En 2007, il y a eu des rassemblements électoraux, mais pas de vision commune en termes de projet. La fragmentation n’est donc pas seulement celle des collectifs, elle est aussi celle qui sépare les intellectuels , le politique et le social. Un thème comme l’antilibéralisme est par exemple pauvre en termes de contenu. Son usage passe-partout incite à la paresse. C’est un peu la même chose pour l’altermondialisme. Du coup, les programmes ont faibles. On répète que le SMIC à 1500 euros sera financé en récupérant les 10 points de plus value perdus par les salaires. Tout se passe comme si la radicalité passait par la magie de quelques chiffres, ce qui dissimule la pauvreté de la pensée sur le contenu de la rupture avec le modèle social actuel. »

Pourquoi cette difficulté à penser un projet de société depuis dix ans ? Pour François Labroille, il ne suffit pas de se réunir pour accumuler les demandes. « Ce qui fait défaut, c’est la rencontre entre communauté intellectuelle, mouvements sociaux et acteurs politiques. Ce qui veut dire aussi que l’échec de la candidature antilibérale n’est pas le résultat d’enchaînements factuels. Il plonge plus profond. Les rivalités sont venus après, par-dessus. Mais, à l’inverse, il ne suffit pas d’être en dehors des cadres politiques traditionnels pour avoir de la compétence. Dans les collectifs, on a souvent l’impression que la prétention à diriger est inversement proportionnelle à la compétence. En somme, il y a sous-estimation du travail intellectuel, du travail nécessaire pour produire un projet. De ce fait, la question de la candidature a été hypertrophiée. En revanche, on n’a guère « posé la question de fond : Pourquoi la gauche de la gauche n’a-t-elle pas de projet ? Pourquoi passe-t-elle à côté de la jeunesse, à côté même de la société, d’une certaine façon ? Bové a été une réponse à une frustration immédiate, une fuite en avant. Mais il n’y a rien eu ensuite. Sa candidature n’a pas été la matrice d’une régénération. Il est possible que les processus de fragmentation et les guerres tribales continuent. Mais cela ne fait pas une stratégie politique. »

Christophe Ventura est de cette génération pour qui l’engagement altermondialiste a coïncidé avec l’entrée en politique. Il a été un des animateurs de la tentative, finalement avortée, de présenter des listes ‘100% altermondialistes’ aux élections européennes de 2004. Il a participé au collectif du 29 mai pour ATTAC après le référendum, après un débat interne assez vif. Cela a duré pendant toute l’existence de ce collectif, jusqu’à sa transformation en collectif unitaire en mai 2006. Pour ATTAC, le travail unitaire sur le référendum était possible, mais non pas pour des élections.

Christophe Ventura n’a jamais cru à la possibilité d’une candidature unique. Pour lui, cela revenait en effet à tenter une recomposition politique à partir des appareils issus du mouvement ouvrier. Ce qui lui paraissait impossible, « notamment à cause des réflexes boutiquiers. Il faut renouveler, construire une force politique nouvelle, et non pas recomposer. Beaucoup de terrains (le contenu et les formes du militantisme, la place de l’individu, l’environnement, etc.) ne sont pas couverts aujourd’hui par l’offre politique existante. La demande est pourtant forte. » Mais les gens « ne voteront plus pour des partis trop marqués par leur histoire (LCR, PCF). Le ‘plus médiatique’ qu’apporte Besancenot a pu faire illusion. Mais les législatives ont remis les pendules à l’heure. »

Pourquoi une force politique nouvelle ? Pour Christophe Ventura, « cette question est omniprésente, y compris dans l’apparition d’associations comme ATTAC, qui s’est développée sur fond de crise politique entre 1998 et 2005. Il y a en effet explosion de la demande d’offre politique, la critique du capitalisme est à nouveau à l’ordre du jour, la question politique est revenue au centre du jeu, comme forme d’expression sociale. » Le problème, pour l’instant, est que ces aspirations nouvelles sont portées par des forces anciennes. Les listes altermondialistes pour les européennes de 2004 s’inscrivaient au contraire dans la tentative de renouveler l’articulation entre mouvement social et champ politique. « Les collectifs sont cependant des formes proto-politiques, associant organisations et individus. Cela ne pouvait pas marcher. D’où la désillusion. Beaucoup de collectifs ont privilégié le processus pour le processus, le mouvement pour le mouvement et par le mouvement. Ce qui passait par une forme de négation des contradictions idéologiques. On a agglutiné, mais sans donner du ‘sens commun’. Il manquait une pensée ‘globale’ pour donner sens. Il y a eu en quelque sorte d’un côté retour vers le syndicalisme révolutionnaire à travers le refus de séparer syndical et politique, mais sans qu’il y ait, de l’autre côté, fusion du ‘revendicatif’ dans un projet politique. »

Et maintenant ?

Les convictions anciennes sur les mérites respectifs des organisations, des réseaux et des mouvements ne vont certainement pas changer. Elles n’ont d’ailleurs empêché la gauche de la gauche de travailler ensemble et personne ne les tient pour responsables de la situation actuelle. Ce qui a fait défaut, c’est, pour reprendre ce qui a été un véritable leitmotiv, un ‘projet’. La défaite électorale apparaît en effet d’abord comme un ‘échec idéologique’, mis en rapport avec le ‘travail en profondeur’ (et qui parfois fascine intellectuellement) de la droite incarnée par Nicolas Sarkozy. Pour autant, la reconstruction ne consiste pas simplement à faire comme avant , avec un projet en plus. L’alchimie est plus complexe au moment où la gauche dans son ensemble accuse un retard dans ses analyses qu’aucun de nos interlocuteurs n’a contesté.

Christophe Aguitton appelle de ses vœux une « refondation programmatique ». Il manque à la gauche de la gauche une ‘vision du futur’. Pour la démarche, il suggère la méthodologie du logiciel libre, qui permet, par un travail coopératif, d’augmenter l’espace des biens communs. Il y a de ‘grandes questions’ qu’il est nécessaire de traiter aux trois niveaux, local, national, mondial, avec dans chaque cas la préoccupation de l’environnement et celle, tout aussi essentielle, du contrôle par les citoyens. : la nouvelle révolution énergétique et la sortie du pétrole, les multinationales dans le contexte de la mondialisation, l’urbanisation, avec bientôt 50% de l’humanité habitant dans les grandes villes, etc.

Pour Roger Martelli, un cycle se termine et la victoire de Sarkozy marque une rupture : il a réalisé à droite ce qui semblait impossible jusqu’ici. La France fait donc sa contre-révolution libérale après les autres. La tentation est très forte de créer en face de cette droite une gauche qui s’adapte. Le problème stratégique lui paraît donc être le suivant : comment garder le cap de l’antilibéralisme, tout en ne reprenant pas à l’identique ce qui a échoué ? Il existe une exigence de renouvellement, qui devrait empêcher de se satisfaire de la reproduction. La gauche de la gauche doit incarner ce renouvellement dans tous les domaines, ceux de la dynamique sociale et de la dynamique politique. L’antilibéralisme a en effet un double inconvénient : il laisse le terrain de la liberté, y compris celle de l’individu, aux libéraux ; c’est un ‘anti’, qui ne peut constituer un mythe de rechange à ceux qui ont échoué. ». D’où l’idée d’un ‘projet post-libéral’, qu’il faut penser en termes de réseaux.

Claude Debons pense lui aussi que la droite tire aujourd’hui les bénéfices d’un travail idéologique de plusieurs années, sur la valeur travail – alors que la gauche parle de la fin du travail –, sur l’Etat nation (où va la France ? Être français, c’est quoi aujourd’hui ?), etc. Ses réponses sont celles d’un libéralisme économique plus agressif, qui va s’attaquer d’abord au droit du travail et conjuguer le conservatisme moral avec l’autoritarisme. Mais il a bien perçu certaines attentes de la société, y compris en matière européenne (euro, Banque centrale, etc.). Par contrecoup, il révèle très fortement le retard idéologique de la gauche. La société n’a pas basculé à droite, comme en témoigne « le fait que les gens se cabrent dès que le social revient (TVA sociale, franchises). Les ressorts anciens (1995, 2003, 2005, etc.) sont donc toujours là ». Ce qui manque à gauche, c’est donc une reconstruction idéologique, pour redonner du sens aux choses, reconstruire les solidarités, pour aller vers un bloc social majoritaire. Sarkozy a sapé tout cela en introduisant des oppositions : ceux qui se lèvent tôt/les assisté, les immigrés/les autres, etc.

L’échec de 2007 n’est donc pas un accident, dû par exemple au fait que Ségolène Royal n’aurait pas été bonne. Il est plus profond. Au sein du PS, l’évolution vers le social-libéralisme est la plus probable. Que fera alors PRS ? À la gauche du PS, la situation est « sombre ». Le PC était KO debout, il a bénéficié d’un sursaut aux législatives, grâce à son enracinement local. Mais le débat interne ne s’engage pas bien. La LCR voudrait faire surgir, sur les bases de son analyse de la situation, un appel à la création d’un nouveau parti. Tout cela sur fond d’une immense déception.

Beaucoup de collectifs ont éclaté. Il reste aujourd’hui des comités Bové « maintenus », éventuellement appelés unitaires, et des vrais ‘collectifs unitaires’, dans la tradition du 29 mai. La coordination qui s’est réunie les 23 et 24 juin 2007 n’a plus qu’une légitimité partielle du fait de ses liens avec la campagne Bové. Le débat interne porte sur la question : comment continuer, en se structurant (ce qui est différent d’une coordination souple).

Cela ne lui paraît pas être la bonne solution. « Si on veut rebondir, il faut une nouvelle force politique qui ne se construira ni à partir des partis existants, ni par un surgissement citoyen qui les ignorerait. L’exemple allemand intéresse car il montre que l’on peut dépasser des héritages culturels très différents (celui de la gauche du SPD et des syndicats, celui du PDS). Cette différence est sans doute plus importante que celles qui existent au sein de la gauche de la gauche en France ! »

Pour Claire Villiers, construire un projet doit tenir compte du fait qu’il y a allergie aux ‘projets ficelés’. Il y a deux façons de faire, pour convaincre : « votez pour nous, nous ferons… » et « construisons ensemble, discutons de la dynamique dont ce monde a besoin pour que nous – moi, les autres, ma famille – puissions y vivre. Cette démarche est différente de celle qui consiste à élaborer un projet et à le soumettre aux gens. »

Il faudrait donc savoir penser des cadres protecteurs irrigués par la dynamique collective et non pas par la délégation. Ce n’est pas la démocratie participation comme la prône Ségolène Royal, qui est un face à face entre individus abstraits de leurs appartenances et les élus. Il faut au contraire faire vivre les réseaux d’appartenances avec productions de réponses, de dynamique collective, de pensée. On créerait ainsi un creuset pour une nouvelle construction démocratique.

Pour elle, « on peut essayer de remettre les compteurs à zéro dans les collectifs mais il restera des traces. Ce qui doit inciter à analyser plus finement la situation de la gauche en France. Faut-il viser un élargissement de la gauche radicale ? Ou tenter de faire en sorte que toute la gauche devienne une gauche de transformation sociale ? Sommes-nous à la fin du cycle qui a commencé en 1995 et qui s’est poursuivi avec les forums sociaux et l’altermondialisme ? Ne faut-il pas penser à autre chose ? Comment par ailleurs remédier à la grande faiblesse des structures européennes regroupant la gauche radicale ? »

Pour François Labroille, les collectifs se sont rétrécis mais restent dynamiques. Les 23 et 24 juin, ils ont réuni 150 à 180 personnes. Mais « la tentation existe de cultiver le ressentiment à l’égard des partis. Elle peut conduire à vouloir créer une nouvelle force sur une base anti-partis, pour exister, mais sans que le projet soit très clair (l’échec, c’est à cause de la division, la division, ce sont les logiques de partis…). D’autres pensent qu’entre la posture protestataire de la LCR et le PS, il est possible de rassembler une force de gauche sur un arc large. Pour cela, il faut relever le défi intellectuel de la construction d’un nouveau projet, ce qui passe par la diversité des partenaires. Le pari, c’est de faire se rencontrer des cultures politiques diverses, qui se sont affrontées jusqu’ici. Il faudrait travailler sur le fond, avec un angle très ouvert (y compris générationnel). Les comités anciens étaient coupés des milieux culturels et artistiques, des milieux intellectuels. C’est méconnaître le fait qu’il existe des univers où l’on réfléchit et qui sont pourtant très éloignés des cercles politiques. Le problème pour la gauche de gauche, c’est de capter ces milieux. Car Sarkozy a montré une extraordinaire capacité à récupérer les thèmes de la gauche, à les vider de leur sens, pour les remettre, ainsi dénaturés, en résonance avec les attentes des gens. C’est plus qu’un procédé, un vrai travail de fond.

Christophe Ventura pense lui aussi qu’il « faut renouveler, construire une force politique nouvelle, et non pas recomposer. Beaucoup de terrains (le contenu et les formes du militantisme, la place de l’individu, l’environnement, etc.) ne sont pas couverts aujourd’hui par l’offre politique existante. La demande est pourtant forte. L’idée de mettre simplement les gens en mouvement pour produire un acteur nouveau ne marche pas, surtout s’il y a, comme dans les collectifs, de profondes contradictions idéologiques, façonnées par l’histoire politique des militants. » En 1978, dix ans après mai 68, une affiche humoristique montrait deux personnages dont l’un brandissait un pavé et l’autre le questionnait : « Que fais-tu avec ce pavé ? » Réponse du premier : « J’attends une occasion favorable ». Gageons que, malgré les déceptions du moment, la gauche de la gauche saura s’affranchir d’une telle attente et trouver en elle les ressorts pour ‘rebondir’.


[1] ‘Voter Y’ est une initiative visant la réappropriation du débat politique par les citoyens et à porter dans les campagnes électorales des questions risquant « d’être ignorées au profit de la seule compétition des personnes ». ‘Voter Y’ a été lancé publiquement le 25 novembre 2004 et se consacre aujourd’hui à la réalisation de l’‘Autre campagne’, un ensemble d’auditions d’acteurs du débat public et de l’action de terrain qui sera suivi de publications et ouvert à d’autres formes de débat.


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