Parution du numéro 27 de la revue Savoir/agir
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Syndicalismes en luttes
Dossier coordonné par Nathalie Ethuin et Karel Yon
Si le syndicalisme est un acteur essentiel des luttes sociales, il est aussi au cœur des luttes symboliques pour définir les objectifs et les moyens légitimes de ces luttes. La lutte des classes est aussi une lutte de classements et définir les frontières et les modalités légitimes de l’action syndicale en est l’un des enjeux. Ce dossier ne vise évidemment pas à fournir des réponses univoques et définitives à la question de savoir à quoi servent ou devraient servir les organisations syndicales. Il s’agit plus modestement de spécifier ces enjeux et de rendre compte des débats qui traversent le mouvement syndical dans le contexte actuel d’hégémonie de l’idéologie néolibérale.
Qu’en est-il du répertoire d’action et des horizons de pensées du syndicalisme à l’heure où est répété à l’envi qu’il n’y aurait plus de « grain à moudre », pour reprendre la célèbre expression d’André Bergeron, secrétaire général de FO, qui célébrait ainsi la fonction de négociation des syndicats à l’ère du « compromis fordiste » ? La crise de 2008 et la généralisation des politiques d’austérité qui l’a suivie ont largement contribué à remettre ces questions à l’agenda militant et scientifique en déclenchant un cycle de protestation qui a été diversement investi par les syndicats selon les pays. Comment négocier avec les organisations d’employeurs et les pouvoirs publics tout en participant activement aux luttes sociales ? Comment parler au nom de tous les travailleurs lorsque les politiques économiques tournées vers la compétitivité des entreprises aboutissent à une hétérogénéité croissante des statuts d’emploi et des conditions de travail ? Lorsque les collectifs de travail sont fragilisés, voire démantelés, lorsque les partis politiques censés être les plus proches des syndicats voient leur rôle se réduire à celui d’une courroie de transmission du fatalisme économique, comment sont débattues dans et entre les organisations syndicales les enjeux stratégiques et idéologiques de la syndicalisation ?
Ces questions ne sont bien sûr pas nouvelles. La somme coordonnée par Colin Crouch et Alessandro Pizzorno dans les années 1970 résume bien la façon dont les spécialistes du syndicalisme y répondirent au cours du dernier quart du vingtième siècle1. Impulsé, comme son nom l’indique, dans le but de comprendre la résurgence du conflit de classe en Europe après 1968, ce travail publié dix années plus tard se concluait en montrant comment les gouvernements d’Europe occidentale avaient réussi à endiguer la contestation sociale grâce à l’enrôlement des syndicats dans les politiques de gestion de la crise. Longtemps considéré comme le mouvement social par excellence, le syndicalisme devenait ainsi un rouage des institutions publiques, donnant forme à ce que les politistes baptisèrent « corporatisme libéral ». L’accélération de l’intégration européenne et la fabrique, à cette échelle, d’une ambitieuse architecture du « dialogue social » semblaient confirmer cette analyse. Dans le même temps, le champ en plein essor de la sociologie des mouvements sociaux se consolidait en ignorant, pour l’essentiel, l’enjeu de la conflictualité au travail2. D’une crise à l’autre, la résurgence de grandes mobilisations sociales orchestrées par les syndicats a permis de rappeler que l’institutionnalisation n’impliquait pas de renoncement irrémédiable à l’action protestataire. Plutôt que de chercher à qualifier de façon univoque et définitive les organisations syndicales, mieux vaut tenter de les situer au sein du triangle qui constitue, selon Richard Hyman, la géométrie du syndicalisme3. Les organisations syndicales sont, selon les contextes nationaux et les périodes historiques, plus ou moins proches de l’un des sommets du triangle symbolisant les trois rôles idéal-typiques du syndicalisme : agent économique, partenaire social et organisation de classe. Ce sont donc moins les angles du triangle – marché, société, classe – qui doivent retenir l’attention que les directions vers lesquelles bougent les curseurs des revendications et des actions syndicales...
Sommaire
Éditorial
Quand le gardien du Temple devient le sauveur des marchés financiers, par Frédéric Lebaron
Dossier
Syndicalismes en luttes, coordonné par Nathalie Ethuin et Karel Yon
Les formes contemporaines de l’activité gréviste en Europe occidentale : la domination de la grève politique de masse, par Gregor Gall
Les syndicats dans le capitalisme financier européen : Le cas allemand, par Hans-Jürgen Urban
Les mouvements sociaux dans le Brésil de Lula et Dilma : quelle place pour le syndicalisme ?, par Andréia Galvão
Le syndicalisme en (dans la) crise. Quelques réflexions à partir des réformes du marché du travail en Espagne, par Adoración Guamán et Francisco Trillo
Une mobilisation syndicale traversée par le souffle des Indignés ? La « marée verte » dans le secteur de l’éducation à Madrid, par Sophie Béroud
Le syndicalisme français en proie à la logique des « camps », par Jean-Marie Pernot
Se syndiquer pour l’indépendance : quelques remarques à propos de l’Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe, par Pierre Odin
Grand entretien
Chronique de la gauche de gauche
Front de gauche. Des municipales aux européennes, par Louis Weber
Sociogenèse du Front de gauche
Syndicalistes entrés en politique avec le Front de gauche
La rhétorique réationnaire
La valse des étiquettes politiques, par Gérard Mauger
Chronique d’outre-Manche
L’esprit de 1945, par Keith Dixon