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Des alternatives à géométrie variable
Dans la lignée de nombreuses productions culturelles, le récent succès du film Demain a été perçu comme un indice fort de l’attrait grandissant pour des manières d’être, de faire et de s’organiser empruntant des chemins de traverses et dérogeant aux attendus de l’ordre établi. Cette adhésion croissante à « l’alternative » comme catégorie d’action militante résulte de logiques matérielles et symboliques que les sciences sociales mettent peu à peu au jour. En proposant un aperçu de ces recherches aux confins de la sociologie de l’engagement politique, du travail ou des modes de vie, ce dossier aide à saisir les ressorts collectifs et subjectifs de ces mobilisations qui revendiquent en expérimentant. Deux articles adoptent une approche relationnelle pour observer comment se structure un espace social des alternatives d’une part, et un sous-champ des médias alternatifs d’autre part. A sa façon, chacun de ces espaces révèle des recompositions à l’œuvre au sein des fractions culturelles et économiques de la petite bourgeoisie. Deux autres textes resserrent la focale sur l’agriculture biologique. Le premier montre que les mobiles de l’entrée en agriculture non conventionnelle ne sont pas toujours politiques et tiennent à la position sociale occupée avant la réorientation. C’est encore à partir du poids des socialisations que le second texte rend cette-fois compte des coûts différenciés du maintien dans les alternatives agricoles. Pour mettre politiquement en perspective ces quatre articles, deux autres rendent compte d’engagements plus radicaux. Un texte revient ainsi sur le rapport de l’avant-garde situationniste avec les classes populaires. Il souligne son ambivalence et les difficultés des projets de transformation sociale à penser stratégiquement « le peuple ». Or les collectifs révolutionnaires contemporains se donnent souvent comme objectif de développer des leviers de politisation efficaces au sein des classes populaires. Un sixième article s’appuie ainsi sur l’ethnographie d’un lieu d’aide aux démunis animé par des militants dits « autonomes », pour montrer comment en favorisant la mise en suspens du sens pratique, ils peuvent œuvrer à la politisation des participants aux ateliers. Enfin, un entretien réalisé avec le collectif Mauvaise Troupe sur la zad de Notre-Dame-des-Landes ouvre des pistes fécondes pour comprendre à quelles conditions les « alternatives » peuvent être porteuses de transformation sociale. En effet, au terme de ces sept contributions illustrant la géométrie sociopolitique variable des mouvements « alternatifs », il apparaît que leur articulation avec des projets politiques radicaux, bien qu’elle soit probablement la condition de leur extension, n’aille pas toujours de soi, n’en déplaise à leurs détracteurs comme à leurs promoteurs.
Sommaire
Éditorial
La force des idées zombies, par Frédéric Lebaron
Dossier
Des « alternatives » à géométrie variable, par Jean-Baptiste Comby
L’espace contemporain des « alternatives ». Un révélateur des recompositions des classes moyennes ? par Nicolas Brusadelli, Marie Lemay et Yannick Martell
Professionnaliser les « médias alternatifs » ? Enjeux sociaux et politiques d’une mobilisation (1999-2016), par Benjamin Ferron
La politisation variable des alternatives agricoles, par Madlyne Samak
Des loisirs productifs aux « alternatives ». Le rapport ambivalent des classes populaires aux pratiques agricoles et alimentaires en milieu rural, par Anaïs Malié et Frédéric Nicolas
« Nous sommes totalement populaires ». Les divisions du monde social par une avant-garde des années 1950-1960, par Éric Brun
Ouvrir les portes d’un squat d’activités à des non-militants pour amorcer une politisation. Conditions et enjeux de la mise en suspens du sens pratique, par Colin Robineau
« Se battre et, dans le même geste, inventer d’autres manières d’habiter le monde ». Entretien avec le collectif Mauvaise troupe réalisé par Jean-Baptiste Comby
Grand entretien avec Charles Suaud. Les heureux hasards de l’habitus, propos recueillis par Manuel Schotté
Paroles
Les tiraillements identitaires d’un militant associatif béninois reconverti dans une carrière d’expert en VIH/sida. « J’apprenais plus ou moins à vivre avec ma séropositivité, à l’accepter », par Clément Soriat
Chronique de la gauche de gauche
De Washington à Paris : espoirs déçus et incertitudes…, par Louis Weber
La rhétorique réactionnaire
Islamophobie (3). Burkini et laïcité, par Gérard Mauger
Alterindicateurs
La construction sociale des espaces ruraux. Analyse critique de la mesure spatiale, par Jean-Luc Deshayes, Alissia Gouju et Ingrid Volery