Parution du numéro 4 de la revue Savoir/agir
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Il n’est plus possible aujourd’hui de voir dans la crise immobilière américaine un simple accident conjoncturel un peu plus marqué que d’autres événements cycliques qui caractérisent depuis longtemps les économies de marché et interrompent temporairement leur marche en avant.
L’ampleur de la crise, encore très mal évaluée, est déjà considérable, sur les plans immobilier (avec l’effondrement du marché aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe, la hausse des expropriations de ménages insolvables), bancaire (avec les dépréciations d’actifs et des pertes sans précédent de grandes banques), macroéconomique (avec les difficultés accrues de financement des entreprises et des ménages qui ont conduit, semble-t-il, aux bords d’une récession mondiale) et enfin symbolique, avec une crise de croyance dans les vertus de la financiarisation sans limite qui a constitué le modèle économique de référence depuis la deuxième moitié des années 1980. Comme souvent, une crise économique aiguë débouche sur une crise de la doctrine économique et de ses habitudes de pensée, toujours solidement ancrées dans les esprits des analystes dominants.
Il est toujours très difficile d’interpréter de façon globale un processus en cours et surtout d’anticiper l’ensemble de ses effets, qui s’avèrent multidimensionnels ; d’autant plus que les théories et données économiques sont loin de permettre des prévisions aussi rationnelles qu’elles ne le souhaiteraient et qu’aucun modèle n’avait au préalable intégré toutes les conséquences de certaines innovations, notamment institutionnelles, dans le secteur financier, ni bien caractérisé la nature des risques qui fragilisent désormais le système économique mondial. Des travaux de sociologie économique, discipline qui s’est pourtant depuis longtemps intéressée à la monnaie, aux institutions bancaires et financières, au marché immobilier1, font sans doute encore défaut pour compléter un tableau qui se dessine néanmoins avec une certaine netteté.
Paul Jorion fait le lien entre les défaillances de la doctrine économique dominante, ses fondements sociaux et institutionnels et son incapacité à comprendre les processus en cours. Oubliant les véritables leçons de la crise de 1929, la politique monétaire américaine sous Alan Greenspan et Ben Bernanke2 est devenue la première alliée de la spéculation financière, elle-même résultat d’une énorme inégalité de revenus et d’innovations techniques visant à démultiplier les gains à court terme. La crise financière marque ainsi la crise d’une science économique dominante, notamment au sein des banques centrales, qui s’est détournée des leçons de l’histoire.
Jean-Luc Gréau voit aussi dans la survenue de la crise financière le résultat de l’oubli des cycles économiques et des erreurs de la doctrine économique dominante. Il attribue plus particulièrement cette crise au surendettement organisé des ménages aux États-Unis : la crise est d’abord pour lui celle d’un modèle économique centré sur l’endettement des ménages, et si elle tend à se diffuser, cela tient à l’interconnexion globale des marchés financiers voulue par les apôtres d’une mondialisation dérégulée. Il insiste fortement sur l’originalité institutionnelle du capitalisme contemporain, issu d’une « grande transformation financière », qui a combiné épargne et endettement systématiques comme moteurs de la dynamique économique globale.
Michel Aglietta inscrit lui aussi la crise actuelle dans un ensemble de changements structurels qui ont affecté non seulement les pays développés, cœur du système, mais aussi les pays émergents, nouveaux entrants. Ces changements, caractérisés par la montée des actionnaires au détriment des salariés, ont transformé le business model du capitalisme. Les pays émergents en ont les premiers fait les frais, victimes de suraccumulation du capital et de bulles spéculatives, dans des contextes de systèmes bancaires fragiles et de politiques de change risquées. Le système des prix a été modifié, surtout après 2002, par l’entrée de nouveaux pays dans la compétition mondiale, faisant peser une forte pression à la baisse sur les salaires des pays dominants. Ce sont selon lui des institutions spécifiques, les banques d’affaires et les agences de notation, qui ont réduit leur « aversion au risque » dans ce contexte d’épargne mondiale abondante. La titrisation des créances, dont il décrit les mécanismes institutionnels, a traduit un emballement de ce processus, générateur de profits bancaires démesurés. C’est le retournement sur le marché immobilier qui a signifié la fin de cette dynamique et l’entrée dans une crise que seules les banques centrales peuvent désormais empêcher de conduire à l’effondrement du système et face à laquelle elles sont aussi les seules selon lui à être en position de reconstruire un nouveau système régulé. À condition qu’une impulsion politique existe en ce sens.
Denis Durand voit lui aussi dans cette crise une crise du système, liée à des déséquilibres croissants. Ceux-ci expriment les contradictions mêmes de l’accumulation du capital, produit d’une dynamique cyclique de longue durée. Les masses de capitaux accumulés au détriment du travail sont en quête permanente d’un débouché rentable et alimentent des poussées spéculatives suivies de reflux de plus en plus prononcés. La crise actuelle est ainsi, de façon sous-jacente, une crise du capitalisme et pas seulement une crise de la finance qui appellerait des régulations étatiques nouvelles. Les banques centrales sont aujourd’hui placées devant l’impossibilité de juguler l’inflation financière sans étouffer simultanément la croissance et l’emploi. Denis Durand en appelle à une nouvelle politique monétaire, sélective en matière de crédit, et à une réorganisation des relations monétaires internationales aujourd’hui dominées par les États-Unis, qui pourrait être articulée autour d’une monnaie commune mondiale et d’une stratégie globale de développement durable.
François Chesnais rappelle que l’actuelle crise financière a certes des caractéristiques conjoncturelles. Mais elle est surtout une crise systémique au sens plein du terme. En conclusion du dossier, il replace cette crise dans l’histoire longue du capitalisme et de l’économie de marché. Elle annonce selon lui une très forte aggravation des conditions d’existence des salariés et des dépossédés et opprimés partout sur la planète, mais aussi des modifications profondes dans les rapports économiques et politiques inter-capitalistes mondiaux.
En marge de ce dossier et en en élargissant la problématique, nous avons consacré le grand entretien à Jacques Sapir. Où en est la doctrine du libre-échange ? Assiste-t-on aujourd’hui à un changement de paradigme économique, à un de ces mouvements de conversion qui transforment les croyances des acteurs politiques et des économistes dominants3 ? Quelles sont les conditions de la poursuite et les limites actuelles de ce changement ? Quel rôle jouent les économistes dans les processus sociaux ? Jacques Sapir répond à ces questions et contribue à éclairer, à partir de ses propres analyses, une crise qui apparaît ainsi autant comme une crise de croyance que comme une crise de système.
Sommaire
Éditorial, par F. Lebaron
Dossier
Présentation : La crise financière : crise de système, crise de croyance ?, par F. Lebaron et L. Weber
La compréhension des crises financières et leur répétition, par Paul Jorion
Crise et fin de la « Grande Transformation Financière » ?, par Jean-Luc Gréau
Repenser la régulation des marchés financiers, un entretien avec Michel Aglietta
Une crise de système qui appelle des réponses systémiques, par Denis Durand
Quelques détours par la théorie, par François Chesnais
Grand entretien
Crise financière et changement de paradigme économique, avec Jacques Sapir
Paroles
« Quand on voit que c’est pas possible, ben, on reste dans l’entreprise », par Amandine Mathivet.
La rhétorique réactionnaire
« De gauche », par Louis Pinto.
Chronique de la gauche de la gauche
L’altermondialisme à la croisée des chemins, par Louis Weber
Actualité
Luttes universitaires, par Keith Dixon.
Europe
La BCE, la stabilité des prix et la politique monétaire, par Herbert Schui
Politiques d’ailleurs
Dans le tourbillon de la chute, par Joachim Bischoff et Richard Ditje